Danièle Sallenave, "Sibir, Moscou-Vladivostock, mai-juin 2010" , carnet de voyage en terre sibérienne

Un moment à partager avec la toute nouvelle élue de l’Académie française
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Danièle Sallenave a participé au long voyage qui a embarqué une vingtaine d’écrivains à bord du Transsibérien, il y a plusieurs mois, dans le cadre de l’année France-Russie. Avec Sibir, Moscou-Vladivostock, mai-juin 2010, elle offre à ses lecteurs un nouveau carnet de voyage :« Le Transsibérien m’apparaît comme une espèce de grand chasse-neige, poussant l’Europe devant lui. » Au fil des arrêts, des rencontres, des paysages, elle s’interroge sur la Russie d’hier et d’aujourd’hui, sur elle-même aussi car pour elle, tout voyage est une expérience structurante pour aller hors de soi et au plus profond de soi.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : pag1051
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Pendant presque trois semaines, entre mai et juin 2010, un groupe d’écrivains français a eu l’honneur de faire ce voyage mythique à bord du fameux Transsibérien. L’agence Cultures-France, l’opérateur du Ministère des Affaires étrangères (à ce moment-là) et les autorités russes ont pris en charge le petit groupe et organisé très officiellement des échanges dans les différentes villes du parcours.

Les écrivains ont ainsi parcouru les 9 288 km de la ligne, à petite vitesse, dans un wagon, réservé à leur attention, baptisé Blaise Cendrars, sur ce parcours ouvert en 1891.

Danièle Sallenave en a tiré son livre : SIBIR Moscou-Vladivostok, Mai – juin 2010 (Gallimard).

Un an et demi plus tard, les livres de certains d’entre eux paraissent.

Danièle Sallenave, 5 mars 2012
© MDL\/Canal Académie




L’académicienne a partagé cette expérience avec son confrère Dominique Fernandez, de l’Académie française, qui a écrit à son retour, Transsibérien (Grasset). Leurs deux livres, pour l’une un carnet, pour l’autre un récit de voyage, très différents, évoquent l’histoire de la Russie avec une belle aisance. L’épaisseur historique des lieux visités est comme un palimpseste qu’ouvrent les deux écrivains, mine de rien, en référence, en complément, au détour, sans jamais peser. Ainsi sous leur plume, les Scythes d’autrefois, Ivan Le Terrible, ou les Roumanov, l’Union soviétique, ou l’enfer des bagnes de Sibérie, l’histoire « des vieux croyants » sur cette terre sans limite, ressurgissent au fil des pages, avec précision sous leur œil critique. Chaque arrêt du train est prétexte à découverte, rencontre et interrogations. Les villes traversées sont celles du trajet éprouvant du coursier du tsar Michel Strogoff, le héros de Jules Verne, sur la première partie du tronçon, de Moscou à Irkoutsk. Mais l’horreur de l’histoire des déportés, appartenant à la Russie tsariste comme à la Russie communiste questionne le temps sourd de l’histoire tout au long du trajet. L'académicienne part sur les traces du pouvoir impérial, sur celle de la police politique, sur les premiers peuples qui occupèrent la Sibérie, sur "la demoiselle de glace" de l'Âge de fer, découverte en 1993, près de Novossibirsk. Elle s'interroge sur les illusions qu'a soulevées le communisme. Tant de points sont abordés dans ce voyage si riche, qu'il est impossible ici d'en rendre compte. L'humour alterne avec l'érudition de Moscou à Vladivostock, passant le lac Baïkal, la mer sacrée des Bouriates, le fleuve Amour... et la petite troupe des écrivains, croqués sur le vif, par petites scènes, égrainées tout au long de ce carnet de voyage.




Vasyugan River, Tomsk oblast, Siberia, 2007
Vadim tLS Andrianov \/ Вадим tLS Андрианов



Au fond, qu’est-ce que la Sibérie qui a tant inspiré la littérature ? Une part d’Europe, une prison, un sanctuaire ? Un bout d’Europe, une Europe en marge, pourrait-on penser ? Danièle Sallenave monte le continuum des espaces européens pour mieux cerner l’Europe dans ses valeurs et ses idées libérales.


Extraits (p.152)


Il m’apparaît de plus en plus clairement, dans la maison des décembristes que la Sibérie est un « front », une « frontière », mouvante et progressive de la présence européenne. Et cette fois, ce n’est pas un front de guerre, de conquête et de colonisation forcée, c’est la greffe sur un sol étranger des idées libérales venues d’Europe - la culture, la musique et les livres. L’exil ici se retourne en liberté.


[Les décembristes sont ces aristocrates qui s’étaient révoltés à la mort du tsar Alexandre Ier en 1825, par idéalisme, épris des idées de la Révolution française, ne voulant plus du servage pour la Russie. Très durement réprimés, beaucoup ont été exilés en Sibérie. Visitant la maison de Marie Volkonskaïa, qui avait suivi son époux dans l’exil. Un pianiste joue un impromptu de Schubert qu’elle aimait particulièrement, précise-t-on alors aux écrivains, au moment de la visite. Danièle Sallenave poursuit …]



Dans ce refuge, entre ces murs de tissu clair, un piano, des tableaux, une femme chante. Dehors, à défaut de la totale émancipation qu’on a rêvée pour eux, on apporte à ces paysans, un peu de médecine, on apprend à lire à leurs enfants. Triomphe dans ces solitudes d’une Europe qui n’est pas l’Europe conquérante ou colonisatrice, mais l’Europe des Lumières, concrétisation du rêve chimérique qui avait soulevé la jeunesse de ces nobles exilés.





Danièle Sallenave a effectué plusieurs voyages en URSS, en 1977, puis en 1989 (2 fois), à Moscou, à Saint-Pétersbourg. Mais sur la ligne du Transsibérien, c’est à Nijni Novgorod qu’elle s’était arrêtée. Ce voyage fut l’occasion cette fois d’aller jusqu’à la Mer du Japon traversant steppe, taïga, 9 grandes villes, de contempler les eaux claires du lac Baïkal.



Sibir, en russe c’est Sibérie écrit-elle. Cela signifie "vide " ou "nord" : Sous mes yeux, l’Europe s’est étirée tout au long de la voie d’un train mythique, chaque tour de roue, au rythme de ces syllabes étranges « sibir, « sibir ! », les étapes plus souvent sauvages que pacifiques d’une progression vers l’Est et d’une conquête.


De bout en bout du livre, l’académicienne évoque l’Europe à travers ce voyage : La peur de l’omnipotence américaine et du développement chinois poussent-ils les Russes vers l’Europe ? Citant Jean-Pierre Chevènement, elle écrit : « La Russie est une nation indispensable à la paix sur notre continent et à l’équilibre du monde. Alors européenne, la Russie ? Oui, indubitablement, selon la formule d’Hélène Carrère d’Encausse : « La Russie est un pays d’Asie présent en Europe et un pays d’Europe présent en Asie. Un grand Pays européen que sa géographie a situé en Asie, ajoute-t-elle. »


Dans l’avion, je sens la mélancolie revenir, je ne me fais pas à l’idée de rentrer, je me sens coupée d’un vaste rêve […] Un autre voyage m’attend, un voyage immobile : le récit que je vais en faire. Qui va durer beaucoup plus longtemps mais se terminera aussi - ici même, à l’instant, à l’autre extrémité d’une Europe que le Transsibérien m’a rendue augmentée de treize millions de kilomètres carrés et de neuf fuseaux horaires.




Danièle Sallenave est reçue sous la Coupole de l’Institut de France, le jeudi 29 mars par Dominique Fernandez. Elle a été élue le 7 avril 2011, au fauteuil de Maurice Druon (30e fauteuil, après ce voyage donc. Ses parrains à l’Académie sont Florence Delay et Frédéric Vitoux.




Née en 1940, elle a grandi à Angers dans une famille d’instituteurs. Professeur de lettres classiques dans le secondaire, mais aussi à l’université de Paris-X Nanterre, notons qu’elle a eu en thèse pour directeur de recherche Roland Barthes. Elle a travaillé avec Antoine Vitez, à qui elle dédie Sibir, Moscou-Vladivostok, Mai – juin 2010 (« À la mémoire d’Antoine Vitez »). Elle est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages : romans, essais, récits de voyages, pièces de théâtre. Elle a reçu de nombreux prix, dont, en 2005, le Grand prix de l'Académie pour l'ensemble de son œuvre, et en 2008 le prix Jean Monnet de littérature européenne. Elle collabore au Journal Le Monde et à Marianne et assure le vendredi une chronique sur France-Culture.
Parmi ses livres, citons son roman Les portes de Gubbio (prix Renaudot 1980), Le principe de ruine (un récit de voyage en Inde, douloureux), Un printemps froid, la Fraga, Castor de Guerre, Dieu.com, et pour mieux la connaître encore, signalons son livre d’entretien, La vue Eclaircie.


Sur le vaste et beau sujet de la Russie, en exergue, elle a choisi la phrase suivante d’André Gide, extraite de son avant-propos à son Retour de l'URSS en 1937 : Trop souvent la vérité est dite avec haine et le mensonge avec amour.




- Les livres de Danièle Sallenave sur le site de Gallimard


- Retrouvez l'émission L’essentiel avec... Danièle Sallenave, de l’Académie française sur Canal Académie





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