Le Traité de non-prolifération nucléaire de 1968, "Les leçons de l’histoire internationale" de Georges-Henri Soutou

Un Traité essentiel mais singulier présenté par l’académicien des sciences morales et politiques
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Dès Hiroshima on prit conscience du fait que l’arme nucléaire posait potentiellement le problème de la survie de l’Humanité. Des accords internationaux tentèrent de maîtriser l’armement nucléaire. Le Traité de non-prolifération qui structure les relations internationales depuis plus de 40 ans, serait-il « l’accord le plus mauvais à l’exception de tous les autres » ? Historien des relations internationales, Georges-Henri Soutou, de l’Académie des sciences morales et politiques, explique le TNP.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : a23511
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Les Américains, seuls détenteurs de l'arme nucléaire en 1945, proposèrent en 1946 un plan (plan Baruch) selon lequel tous les éléments du cycle nucléaire (mines d’uranium, réacteurs, installations d’enrichissement, laboratoires, bombes) seraient remis aux Nations-Unies. Mais l’URSS mit son veto à ce plan, à cause de la Guerre froide commençante, mais aussi parce que les États-Unis auraient conservé leur monopole nucléaire jusqu’à la fin du long processus de dévolution aux Nations-Unies.
Il fallut donc se rendre compte que l’éradication complète des armes nucléaires, ou leur remise à l’ONU, étaient des vues de l’esprit.


1963, le premier accord international

Les Amériicains adoptèrent au début des années 1960 une philosophie différente : celle de la maîtrise des armements (Arms control). On ne chercherait plus à faire rentrer le mauvais génie du nucléaire dans sa bouteille, on s’efforcerait de l’empêcher de s’étendre davantage, et de l’apprivoiser par des accords internationaux.
L'accord de 1963 fut le traité sur l’arrêt des tests nucléaires dans l’atmosphère, dans l’eau et dans l’espace -seuls les essais souterrains étaient désormais autorisés. Il était destiné à rendre beaucoup plus difficile aux puissances non encore nucléaires l’accès aux armes atomiques, en limitant très fortement la possibilité de procéder à des essais nucléaires.

Sir Winston Churchill et Bernard Baruch, homme d’affaires américain


1er juillet 1968, le Traité de non-prolifération nucléaire

Le « TNP » -dont la négociation avait commencé l'année précédente- était un traité d'un type très particulier.
Il prévoyait deux catégories de signataires : la première catégorie était celle des pays nucléaires qui y adhérèrent d’emblée (l'URSS, les États-Unis, la Grande-Bretagne, mais pas la France ni la Chine, qui toutes deux considéraient ce traité comme l’instrument d’une double hégémonie américano-soviétique). Ces pays s'engageaient à ne pas aider les pays non nucléaires à le devenir.
Et la deuxième catégorie était celle des pays non nucléaires signataires, qui s'engageaient à le rester.

Un traité dont la base est toujours valable en 2012

Il est inutile de souligner l'importance du TNP, qui encore aujourd'hui structure les relations internationales dans ce domaine. Les contrôles des installations nucléaires des pays non dotés de l’arme atomique sont exercés par l’Agence Internationale de l’Energie atomique, basée à Vienne. C’est le mécanisme essentiel de vérification du TNP.

Guerre froide et intérêts convergents des États-Unis et de l’URSS

Malgré leur opposition fondamentale dans la Guerre froide les deux grandes puissances signèrent le traité. Elles avaient à l’époque des intérêts convergents.
En particulier la volonté partagée d’empêcher la RFA d’accéder à l’arme nucléaire, et de limiter une compétition nucléaire ruineuse et, à partir d’un certain niveau, inutile.

L’Agence Internationale de l’Energie Atomique

Mais au-delà, et cela est encore valable aujourd’hui, malgré le changement de contexte, les États-Unis pensaient que le TNP pouvait contribuer à la reconstruction d’un système international rationnel, fondée sur la peur partagée d’un escalade nucléaire incontrôlable. Quant aux Russes, ils voyaient dans le traité la reconnaissance de la parité américano-soviétique. En effet les armes nucléaires sont avant tout des armes politiques : elles manifestent un statut de grande puissance, au-delà même de l’effet dissuasif qu’elles produisent. Toutes ces considérations doivent être gardées à l’esprit encore aujourd’hui.

Les deux problèmes structurels du TNP

Tout d’abord il n’interdit pas les activités nucléaires civiles, au contraire le droit d’y procéder est garanti, mais celles-ci sont souvent très difficiles à distinguer des activités à objectif militaire ; il existe un tronc commun aux deux. C’est cela qui rend la question de la vérification si complexe. Le problème se pose dans toute son acuité aujourd’hui avec l’Iran, qui prétend n’avoir que des activités nucléaires à finalité pacifique.
D’autre part le traité contrevenait, et contrevient encore maintenant, à un principe fondamental du droit international : l’égalité entre les États.

Les accords Salt : limitation des armements stratégiques

Certes, les pays nucléaires s’engageaient de leur côté à négocier entre eux un désarmement nucléaire. Et de fait, les États-Unis et l'URSS annoncèrent à cette occasion l'ouverture de négociations sur la limitation des armements stratégiques (les SALT), qui, de traité en traité, se sont poursuivies jusqu’à nos jours.
Seulement, si ces négociations ont ralenti la course aux armements nucléaires, elles n’ont jamais abouti à un véritable désarmement. Les puissances nucléaires font là preuve d’une certaine hypocrisie, et du coup le désir de certains pays de se doter de l’arme atomique ne diminue pas.

Jimmy Carter et Léonid Brejnev signent l’accord SALT II à Vienne le 18 juin 1979

Les succès de TNP

Des succès importants : la plupart des pays l’ont signé, la France et la Chine l’ont rejoint en 1992, après la fin de la Guerre froide, quand la crainte d’une double hégémonie américano-soviétique n’a plus eu le moindre sens, et quand elles ont admis que l’intérêt d’une puissance nucléaire est que les autres ne le deviennent pas. Le Brésil et l’Afrique du Sud ont renoncé d’eux-mêmes à un programme nucléaire militaire déjà lancé ; la Suède et la Suisse y avaient renoncé avant même l’existence du TNP.
Le TNP n’a pas empêché, cependant, certains pays de se doter de l’arme nucléaire, par leurs propres moyens.

Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord

Un pays non signataire du TNP est, en effet, parfaitement libre de fabriquer une arme nucléaire si aucun pays ne l’a aidé.
Ce fut le cas pour Israël, l’Inde en 1974 ou le Pakistan en 1998. Ce dernier fut, certes, ralenti par le TNP, mais aidé par un réseau d’espionnage efficace et par le fait que bien des techniques nucléaires, comme l’enrichissement de l’uranium ou la production de plutonium, sont duales : civiles ou militaires. La Corée du Nord s’est également dotée de l’arme nucléaire -peut-être avec une aide secrète de la Chine.

Dans d’autres cas ce ne sont pas les accords internationaux qui ont bloqué l’accession à l’arme nucléaire, mais de très fortes pressions (les États-Unis sur la Libye en 2004) ou la force (bombardement israélien sur le centre nucléaire irakien en 1981, ou sur le centre syrien en 2007, guerre du Golfe contre l’Irak en 1991).

Donc, malgré son renouvellement en 1995, et son renforcement en 1997, par le Protocole additionnel qui rend les contrôles de l’AIEA beaucoup plus efficaces, le TNP n’a pas vraiment empêché les pays qui le voulaient absolument d’accéder à l’arme nucléaire. La maîtrise des armements façon années 60 a atteint ses limites.

8 décembre 1987 : Gorbatchev et Reagan signent le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire.

Le problème de l'Iran

l'Iran nie vouloir se doter de l’arme nucléaire, mais a désormais la capacité, selon les spécialistes, d’y arriver en six à sept mois, s’il décide soudain de s’évader des contrôles de l’AIEA.
L’Iran y est parvenu en jouant à fond de l’ambiguïté entre activités pacifiques et militaires, en cachant aussi longtemps que possible certaines installations, en jouant au chat et à la souris avec l’AEIA et les puissances occidentales. Celles-ci ont, en effet, conscience du fait que la situation au Moyen-Orient deviendrait très difficile à contrôler si l’Iran acquérait une capacité nucléaire, et depuis deux ans une multiplication de sanctions des États-Unis, de l’ONU, de l’Union européenne, tentent de forcer l’Iran à renoncer.

Négociations sérieuses mais avis partagés

Pour les optimistes la direction iranienne, devant la rigueur croissante des sanctions, est divisée et finalement un accord pourrait être réalisé.
Pour d’autres l’Iran cherche juste à gagner du temps pour diminuer le délai entre la sortie des contrôles de l’AEIA et la fabrication des armes, période pendant laquelle Téhéran pourrait redouter des frappes israéliennes ou américano-israéliennes sur ses installation, même si beaucoup d’experts estiment que de telles frappes ne pourraient pas être suffisamment efficaces.

De toute façon, si l’Iran renonce finalement à l’arme nucléaire, ce ne sera pas grâce aux seuls TNP et AIEA, qui pourraient seulement servir à encadrer et à vérifier un accord politique fondamental, obtenu grâce aux sanctions économiques, à la menace militaire, et sans aucun doute surtout à la reconnaissance par les Occidentaux et l’ONU d’un rôle régional de premier plan pour l’Iran.

La lutte contre la prolifération nucléaire va au delà du TNP

De façon générale, la lutte contre la prolifération nucléaire suppose la diminution des tensions dans les zones dangereuses (si l’Amérique latine ne prolifère pas, mais le Moyen-Orient et l’Asie le font, ce n’est pas par hasard), et des ensembles d’accords, allant au-delà du TNP, donnant des raisons aux pays tentés par le nucléaire d’y renoncer – y compris à terme des accords de désarmement nucléaires plus incisifs que ceux qui ont été conclus jusqu’ici par les États-Unis et la Russie, comme le souhaite d’ailleurs le président Obama.
Et là, la France pourrait bien être concernée. Son potentiel, à partir d’un certain niveau de réduction par les deux grands pays nucléaires, ne serait plus marginal.

Le TNP : un traité essentiel

Si le régime du TNP devait s’effilocher complètement, on pourrait assister à une nouvelle course nucléaire dans les zones sensibles.
Le Japon par exemple, qui a toutes les capacités nécessaires, ne pourrait probablement pas rester sans réagir.
Le régime du TNP est bien « le plus mauvais, à l’exception de tous les autres ».

Georges-Henri Soutou à Canal Académie
© Canal Académie

En savoir plus :

- Consultez la fiche de Georges-Henri Soutou sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques

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-Alfred Foucher et l’Afghanistan, une archéologie militante dans les années 20

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