Marc Fumaroli : Les métaphores ? de minuscules chefs d’oeuvre de la langue française !

L’écrivain, de l’Académie française, présente son Livre des métaphores
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Écoutez ici Marc Fumaroli, de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles lettres, au sujet de son ouvrage intitulé Le Livre des métaphores, Essai sur la mémoire de la langue française.
Qu’est-ce qu’une métaphore ? Quelle gymnastique d’esprit résume-t-elle au sens propre et au sens figuré ? Qu’est-ce qu’elle n’est pas ? Faut-il réhabiliter les métaphores ? L’académicien plaide pour que ces "trouvailles poétiques" ne s’effacent jamais de notre mémoire !

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : pag1090
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Marc Fumaroli précise : Le lexique auquel j'ai donné pour sous-titre « Essai sur la mémoire de la langue française » recense les expressions et locutions imagées dont fourmille encore aujourd'hui l'usage oral et écrit de la langue française. Chaque jour, de nouvelles abstractions, l' « écoconformité », la « traçabilité » -et j'en passe -grossissent notre vocabulaire tandis que s'en évaporent les choses sensibles et leurs images, effacées de notre mémoire avec leurs couleurs, leurs émotions, leurs odeurs, leurs saveurs. Il est temps de les rappeler à nous car les choses s'envolent mais les mots demeurent. Mais c'est aussi par pur plaisir que j'ai collationné ces trouvailles poétiques, les pourvoyant chacune, en amateur et non en docte philologue ou linguiste, d'un bref commentaire. J'en cite beaucoup et je me suis rendu compte qu'il y en avait encore beaucoup plus que je ne l'imaginais. J'en ai certainement oublié et je fais appel à tous mes lecteurs pour réparer ces oublis.

L'art de toucher juste, l'art suprême

La métaphore est une figure de l'ornement telle que la définit la rhétorique classique. C'est un mécanisme capital du langage -pas seulement du langage français.
Il permet de passer d'un sens propre, circonscrit, concret, premier, primitif même, à un sens second beaucoup plus vaste, plus large, qui oublie, ou qui feint d'oublier, de quelle base il est parti. On passe donc du sens propre au sens figuré.

Marc Fumaroli de l’Académie française
© B EYMANN

C'est une des grandes possibilités de la langue qui permet de se promener dans le temps, de se déplacer dans l'espace, de passer du réel à l'imaginaire, du concret à l'abstrait, du particulier au général. Du point de vue de la rhétorique, de la structure du langage, la métaphore est un des instruments de travail les plus importants, les plus centraux.

Toutes ces expressions partent d'un objet, d'une réalité simple, quotidienne, et peuvent orner un discours et lui donner une saveur. Une métaphore, c'est une image jolie, ravissante, parfois un peu surréaliste :
« Les bras m'en tombent », « prendre son courage à deux mains », « mettre sur pied un projet », « faire buisson creux », « avoir vent de quelque chose ».

Ni langage populaire ni argot ni comparaison

Ne pas assigner les images métaphoriques à un « parler populaire » dans le sens de saine et ignorante vulgarité. La métaphore est une opération de l'esprit qui n'abaisse pas mais transfigure. Ces opérations poétiques ne doivent rien à la supposée lutte des classes entre une « langue d'en-bas » et une « langue d'en-haut », stérile et usée.

L'argot, lui, est une langue spéciale d'un petit groupe d'initiés qui ne cherchent pas à se faire comprendre par tout un chacun, au contraire. Nous sommes bien loin de ces gallicismes que sont les métaphores.

La comparaison, non plus, n'est pas une métaphore. Les comparaisons ne sont pas fixées, elles sont sans fin. Par exemple pour indiquer la force, vingt, trente, quarante, cinquante comparaisons au moins viennent à l'esprit: « fort comme un lion », « fort comme un Turc », « fort comme Hercule » etc.
Les expressions métaphoriques sont compactes, elles ont leur propre structure, elles ne bougent pas. Marc Fumaroli précise qu'il a éliminé tout ce qui passe par « comme » (exemple: « chanter comme un rossignol »).

Un patrimoine précieux et intraduisible d'une langue à l'autre

Les Fables de La Fontaine ont recours au raccourci métaphorique qui frappe l'esprit et s'inscrit dans la mémoire. Nous utilisons souvent ces pépites (« tirer les marrons du feu », « le coup de pied de l'âne », etc.).

Ces plébiscites successifs ont fait entrer dans la langue, d'une façon unanime, des expressions que les locuteurs ont trouvées excellentes et extrêmement fécondes pour leurs paroles quotidiennes.
Elles ont une origine qui n'est pas la nôtre, elles nous viennent d'ailleurs et pourtant nous en bénéficions.

Il faut absolument préserver et réhabiliter ces petites peintures vivantes, merveilleux fossiles incrustés dans notre langue moderne.

Des fleurs de rhétorique à cultiver avec soin

Et Marc Fumaroli de conclure : mon livre plaide, indirectement, pour les continuités, pour ne pas privilégier la rupture et s'attacher à bénéficier de leçons depuis longtemps engrangées mais qui n'en sont pas moins toujours vivantes.
J'ai fait la chasse aux métaphores avec délectation. C'est un sport indispensable pour la santé, la bonne humeur, la plaisanterie et en plus...c'est une chasse ouverte toute l'année !

En savoir plus :

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- Consultez la fiche de Marc Fumaroli sur le site de l'Académie française

- Écoutez :
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