Thierry de Montbrial, L’action et le système du monde

Propositions pour une analyse des relations internationales, interview de l’académicien des sciences morales et politiques
Thierry de MONTBRIAL
Avec Thierry de MONTBRIAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Thierry de Montbrial : Le but que je poursuis depuis mon plus jeune âge est de mieux comprendre pourquoi les hommes font un mauvais usage de leurs ressources et s’entretuent au lieu de s’organiser pour élever leur conscience. Tel est l’objectif de son livre, L’action et le système du monde, édité en 2011 pour la quatrième fois depuis 2001. Interview de l’auteur sur son approche entre théorie et pratique des relations internationales.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : pag1061
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Dans son ouvrage L’action et le système du monde dont les PUF, présentent une nouvelle édition augmentée depuis octobre 2011, l'académicien poursuit sa construction d'une analyse des relations internationales sur les bases d’une praxéologie - d'une science de l’action - qui englobe à ses yeux, trois domaines complémentaires, l’économie, la stratégie et les relations internationales. Présentée en 2001, année de la première édition, sa vision des actions collectives s'accompagne d'un vocabulaire spécifique et d'une démarche qui tend à réduire l'écart entre théorie et pratique, une démarche qui lui est chère. Voici un aperçu de cette batterie conceptuelle.


L’étude approfondie des relations internationales n’échappe pas à la pluridisciplinarité, à l'instar des grands traités de relations internationales, comme le classique Guerre et Paix entre les nations de Raymond Aron en 1962. L'auteur y présentait une théorie générale mais aussi une sociologie et une histoire des relations internationales et abordait déjà en quatrième partie une praxéologie appliquée aux dites relations. Thierry de Montbrial fonde l'ensemble de ses propositions sur la science de l'action. Cette manière de situer la géographie politique dans le cadre de la praxéologie, revient à Alfred Espinas (1844-1922) à la fin du XIXe siècle pour qui comptait l'efficacité de l'action. L'angle permet de s'éloigner de la morale, approche philosophique de l'action humaine où agir et bien agir se confondent. La praxéologie classique s'est d'abord développée, en effet, dans le domaine de la recherche de l'amélioration de la productivité et du rendement de l'entreprise lors de la Première Guerre mondiale. Puis les économistes sous l'impulsion de Ludwig von Mises, avant et après la Seconde Guerre mondiale, se sont aussi emparés du concept. Plus tard, le sociologue Pierre Bourdieu du Collège de France, plaida pour une Esquisse de la théorie de la pratique en 1972, dans laquelle la praxéologie incarnait l'idée démocratique.

L'académicien se veut réaliste, optimiste mais non cynique. Analyser ce que font les hommes effectivement et se demander pour quelles raisons ils les font, semblent être est son "seul" objectif. Une question simple qui appelle d'emblée des réponses complexes.

L'expression système du monde, empruntée à Copernic fait référence à l'idée d'un monde plus ordonné et plus prévisible, celui de l'univers, comparé au monde des événements et de l'histoire humaine. Ce décalage entre astronomie et politique, au sens large, est repris par Thierry de Montbrial et devient dans sa volonté d'analyse des relations internationales, un décalage entre théorie du système du monde et pratique. L'expression "système international" ne peut être utilisée que de manière métaphorique. Nul ne peut et ne pourra jamais préciser en détail ce que c’est que le système international. Si vous parlez en astronomie du système solaire vous savez très précisément de quoi vous parlez : vous avez la Terre et les planètes qui tournent autour. Dans le cas du système international, la simple description des unités actives à prendre en compte et de leurs relations est un travail inépuisable et infini.

Tout au long du XXe siècle, le système international n'a cessé de se complexifier et ses acteurs de se multiplier (organisations, institutions, entreprises, États, individu, etc.). L'auteur s'intéresse au rapport entre la pensée et l'action, pour voir au-delà de l'actualité, accordant une place centrale à l'histoire dont le moteur reste à ses yeux, l'action humaine.

Il rappelle combien le développement du droit international prend notamment plusieurs générations. Dans cette émission, il explique les grandes lignes de la grille de lecture qu'il a élaborée pour comprendre le monde et les relations qu'entretiennent entre elles, ce qu'il a baptisé, les "unités actives", un groupe humain lié par une "Culture", et une "Organisation" (des notions spécifiques de son vocabulaire internationaliste, les distinguant par une majuscule). Ces unités se définissent par les buts extérieurs et intérieurs qu'elles s'imposent. Elles peuvent être des unités politiques qui se considèrent comme souveraines (comme les États), ou une ou des entreprise (s), une association, un syndicat ou même un groupe terroriste. Elles se définissent par des "ressources", un terme qu'il préfère à celui de "forces", comprenant au minimum un capital humain, à savoir les membres physiques d'un groupe. À ces ressources, Thierry de Montbrial associe la culture, ou l'idéologie. Un même individu peut appartenir à plusieurs unités actives. Il y distingue des sous-unités actives.

Enfin, mais de manière résumée, il appelle tout "problème international" : tout problème praxéologique dont les acteurs principaux comprennent au moins deux unités politiques dominantes distinctes. Raymond Aron appelait "système international" l'ensemble constitué par des unités politiques qui entretiennent les unes avec les autres des relations régulières et qui sont susceptibles d'être impliquées dans une guerre générale. La guerre était au centre du propos. Disciple de Raymond Aron (1905-1983), l'académicien intègre cependant les interactions internes au sein des unités actives qui ont un sens plus large que celui d'unité politique. Il diverge du maître dans son analyse des conflits en centrant son propos, non sur la guerre, mais sur sa résolution, sur la prise en compte des règlements pacifiques, sur celle de la coopération au sens large. Pour Thierry de Montbrial la proposition d'une science de l'action appliquée aux relations internationales vise à construire une théorie de la négociation ou du règlement pacifique des conflits.
. Pour lui, le système du monde est la résultante des interactions entre les unités actives et celle des interactions internes à chacune des unités actives. En résumé, la cause serait l'action et les effets, le système.

Il y a problème international ou praxéologique à partir du moment où les deux acteurs principaux sont deux unités politiques distinctes et dominantes.

Les propositions de Thierry de Montbrial, réunies dans cet ouvrage de plus de 500 pages sont tout à fait recevables et accessibles pour analyser l'histoire en marche au regard de la charge omniprésente de l'actualité et de l'information qui passe aujourd'hui, d'abord par l'émotion et à laquelle tout citoyen du monde doit aujourd'hui faire face.

Dans cette émission, l'auteur précise quelques-uns des points abordés dans son livre, telles que les notions "d'unité active" et "d'unité active contravariante". Il aborde les questions de la gouvernance, du développement durable et de la justice pénale internationale, présentant ainsi sa méthode d'analyse.

Thierry de Montbrial est le fondateur et le directeur de l’Institut français des relations internationales, l’Ifri, think-tank reconnu, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers. Il a présidé pendant 18 ans le département des sciences économiques de l’École polytechnique. Membre de l’Académie des Sciences morales et politiques depuis 1992, il présente chaque année à Canal Académie la Revue phare de l’Ifri, le rapport annuel Ramsès->6726] , bilan de l’année écoulée sur l’état des relations internationales. Il vient de publier en 2012, [Journal de Russie, 1977-2011 aux Éditions du Rocher.

Extraits

Thierry de Montbrial : Pour reprendre ce que vous disiez juste avant, il est certain que les unités actives ont des intérêts partiellement conflictuels et partiellement coopératifs. On retombe là sur toutes les catégories classiques que j’analyse en détail. La forme extrême du conflit c’est la guerre et donc la violence. J’analyse très en détail dans le livre tout ce qui concerne la guerre et la paix. Je rappelle que traditionnellement des grands penseurs comme Raymond Aron mettaient la guerre au centre de la problématique des relations internationales. Mais il y a aussi les aspects coopératifs. Les gens comme moi qui privilégient la paix, cherchent comment faire pour favoriser les actions de coopération et trouver les modes de résolution des conflits qui évitent la guerre. Derrière tout cela, on tombe sur le problème essentiel du monde contemporain, extrêmement interdépendant qui est la question de la gouvernance.

MDL : Le développement durable est un concept que vous intégrez dans l'analyse des relations internationales aujourd’hui ?

Oui, vu la rapidité des évolutions, l’importance des effets externes négatifs. Le terme est un peu technique. Il sous-entend tout ce qu’un individu visant un élément du système, fait et a, comme conséquence sur les autres. Les effets externes sont parfois sont positifs et très souvent négatifs. En matière de climat par exemple, la pollution…Par conséquent, dans une période d’accélération d’interdépendance, il faut maîtriser ces effets externes négatifs faute de quoi on peut se retrouver dans une situation intolérable. Il y a une trentaine d’années, au moment du sommet de Rio, lorsque les questions de ce type ont commencé à être débattues cela paraissait un peu lointain, mais aujourd’hui l’idée de la planète finie, que certaines unités actives puissent produire des effets négatifs durables sur la planète sont parfaitement intégrées. La question : comment doit-on s’organiser pour que la planète reste vivable durablement, pour les prochaines générations mais aussi pour les dizaines voire les centaines de générations à venir, est devenue une question absolument fondamentale.

Pour en savoir plus

- Thierry de Montbrial sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques
- Thierry de Montbrial sur le site de l'IFRI
- IFRI (Institut français des relations internationales)
- Journal de Russie sur le site de l'Ifri :

Thierry de Montbrial, Journal de Russie 1977-2011 , Éditions du Rocher
Écouter l'émission

Thierry de Montbrial, L'action et le système du monde , PUF, Quadrige, Grands textes, octobre 2011, nouvelle édition augmentée, première édition 2002 dans cette collection.

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