En Ecoute facile : "Toute la beauté du monde est dans les jardins" pour José Cabanis, de l’Académie française

Une émission de la série "Des Académiciens et des hauts lieux"
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Dans la série "En Ecoute facile" où sont évoqués des lieux aimés ou découverts par des académiciens, nous allons ici rencontrer José Cabanis, de l’Académie française. Il est né à Toulouse, en 1922, a fait des études de philosophie et de droit. Il est devenu avocat et expert juriste. Il a été élu à l’Académie Française en 1990.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : eff515
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Avocat ? Et pourtant, José Cabanis s'ennuie dans son métier. Il est déçu par ce qu'il appelle "les chicanes procédurières", c'est à dire les conflits qui génèrent des procès. Il préfère passer ses nuits à écrire, des romans et des essais.

Au lieu de vivre dans les dossiers et les papiers, il découvre que le bonheur est dans son jardin. Ce fut pour lui comme une "conversion", c'est à dire un changement total de sa manière de vivre.

« Je m’étais mis à écrire, je publiais même des livres, des romans, qui n’avaient rien de champêtre. C’est par eux, cependant, la quarantaine venue, que se fit la métamorphose. Dans mes romans, j’avais évoqué la ville et ses habitants, que ma profession, liée à ce qu’on appelle la Justice, ne m’avait pas fait voir en beau. Vint un jour où j’en eus assez des intrigues, des menteurs, des jalousies, de la chicane procédurière où j’étais obligé de vivre, sans pour autant me condamner à retrouver dans mes livres un monde si laid. Ce fut alors que je m’avisai que non seulement la beauté du monde existe, mais que je l’avais sous les yeux : mon jardin si modeste, fût-il. Il suffisait de regarder : un aveugle à qui la vue est donnée, ce fut ma première conversion. J’écrivis que toute la beauté du monde est dans les jardins. Voici, une fois pour toutes, le fin mot de tout. Je les ai voulus inséparables de mes livres, c’est vrai : bêtes et gens parce qu’ils y mettaient de la tendresse : arbres, prairies, buissons et fleurs, parce qu’ils m’apportaient une poésie à ma mesure... »

José Cabanis (1922-2000), de l’Académie française

- José Cabanis a relaté ses souvenirs d'enfance, notamment dans le beau livre Jardins d'écrivains, paru chez Actes Sud. Il nous fait partager son émerveillement lorsque, petit garçon, il allait jouer dans les fermes voisines de sa maison familiale.

L’enfance à la ferme

« L’étable, dans sa pénombre et son odeur forte, était autrement mystérieuse que les pièces de notre maison, fauteuils groupés et canapés alignés, ordonnance immuable, où jamais il ne se passait rien. Dans la demeure des chevaux et des vaches, on laissait pendre, en lourdes grappes, des toiles d’araignées, il fallait prendre garde où on mettait les pieds, ce qui devenait un jeu, et souvent deux ou trois petits veaux, à l’écart dans un renfoncement, s’approchaient pour qu’on caresse leur toison si douce.

Tout au fond de l’étable, dans un abreuvoir de pierre, les vaches venaient boire, avant de regagner leurs stalles, qu’elles connaissaient bien, où les attendaient chaque soir une botte de fourrage léger et sec. Jamais je ne vis l’une d’elles partir pour le lieu où les attendait un destin inévitable, ce qui devait arriver cependant, mais je ne m’en doutais pas. Elles étaient toujours là, toujours les mêmes, et leur vie bien réglée n’était que chaleur, paix et sécurité, et j’entends encore le giclement du lait dans les seaux, à l’heure de la traite, petit miracle quotidien, seul bruit si rassurant tandis que la pénombre de l’étable devenait nuit et que bientôt on fermerait les portes sur le silence et le sommeil.
Dehors c’était tout différent. Jusqu’assez avant dans la soirée, des coqs poursuivaient les poules, chantaient, battaient des ailes, un porc à l’attache avait tracé un large cercle de boue où il pataugeait avec plaisir, et grognait. Plusieurs chiens cherchaient à se rendre utiles ou intéressants. Des dindons arrogants déambulaient avec la majesté des sots. Dans le hangar si grand qu’il me paraissait un monde que je n’aurais jamais fini d’explorer, était entassés de la paille et du foin jusqu’à la charpente, où certaines poutres avaient la taille d’un gros arbre : je grimpais jusque-là, où il m’arriva plus d’une fois de découvrir des œufs, dans un nid d’où s’échappait une poule avec de grands cris. Au sommet des balles de paille, je ménageais des passages secrets et des retraites, d’où je ne sortais pas tout de suite quand on m’appelait. Je voyais tout, sans être vu, le petit garçon que j’étais aimait déjà ça. Les allées bien tracées du parc étaient pour les grandes personnes, qui s’y promenaient à pas lents en parlant de choses sans intérêt, rien n’y était vivant, amusant, comme à la ferme C’est là qu’il fallait à tout moment venir me chercher. »

- On imagine bien la grande maison bourgeoise de la famille Cabanis, avec un parc autour. Ce devait être magnifique !

- Mais ce qui reste le plus présent dans la mémoire de l’écrivain José Cabanis, ce qui l'a le plus profondément marqué, c'est la rencontre avec Marie et Prosper, des gens de la terre dont il garde un souvenir ému :

« Si en ce temps-là on ne parlait pas de jardin, mais de parc, il y avait cependant un couple de jardiniers qui entretenaient notre parc, mais aussi cultivaient les terres, prenaient soin du bétail, s’occupaient du potager que l’eau du puits irriguait, par des conduits souterrains et de petits canaux à l’air libre où je regardais l’eau, suivant la pente, courir et scintiller, surveillé que j’étais sans un instant d’inattention, par les jardiniers en qui on avait toute confiance : ils avaient leurs défauts, disait-on, mais on ne pouvait pas dire qu’ils n’aimaient pas les enfants.
Ils me comblaient du peu qu’ils avaient, me recevant joyeusement quand ils me voyaient paraître dans leur cuisine ; confitures, cerises, raisins, selon les saisons, gâteaux secs toute l’année, chocolat, ils me regardaient avec attendrissement me gaver de ce qu’ils me donnaient… Dehors, ils ne me quittaient pas des yeux, de peur que quelque bête me fasse mal, ou que m’effleure malencontreusement la roue d’une charrette. Comment expliquer cela ? Je crois qu’ils aimaient en moi l’enfance qui devait leur paraître d’autant plus merveilleuse qu’elle était privilégiée, ce qu’ils me pardonnaient. J’étais une réussite du Bon Dieu. Il n’est plus temps pour les serrer tous deux dans mes bras, -ce que l’enfant ne fît jamais-, cet homme et cette femme qui avaient les chevilles et les pieds prodigieusement sales, en sabots dans le purin, habillés de défroques qu’on n’oserait pas, de nos jours, proposer à un mendiant, qui parlaient une langue à eux, rocailleuse, faite de mots français et de patois, incompréhensible pour qui n’était pas habitué, mais que je comprenais bien, et qui n’avaient pour moi que des sourires qui me semblaient naturels... »

- Par la suite, la maison familiale a été négligée jusqu'au jour où José Cabanis l'a reprise et s'est mis à cultiver de ses mains le jardin, à planter, à se transformer en" bon jardinier", comme il l'écrit. Son jardin, selon lui, reste son œuvre essentielle.

- Au revoir à tous, à bientôt pour un prochain « En Ecoute Facile »Une série proposée par Canal Académie destinée plus particulièrement aux personnes dont le français n'est pas la langue maternelle.

- Avant de nous séparer, rappelons que dans cette même série consacrée aux hauts lieux décrits par des Académiciens, vous pouvez écouter également :

- En Ecoute facile : L’Albanie d’Ismaïl Kadaré, de l’Académie des sciences morales et politiques

- L’Algérie d’Assia Djebar, de l’Académie française à travers ses écrits

- En Ecoute facile : "Des Académiciens et des hauts lieux" : l’abbaye de Sénanque

- En Ecoute facile : la Chine de Pierre-Jean Rémy

- En Ecoute facile : Paul Morand, de l’Académie française, un amoureux du Portugal

- Consultez la fiche de José Cabanis sur le site de l'Académie française

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