La démocratie du tsar

Plus que jamais d’actualité... la chronique de François d’Orcival
François d’ORCIVAL
Avec François d’ORCIVAL
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Les Russes voient loin. « On ne veut pas de Poutine jusqu’en 2050 », disait la pancarte brandie par l’un des manifestants qui défilaient, la semaine dernière, en longs cortèges dans les rues de Moscou. Jusqu’en 2050 ? Poutine aurait 98 ans…Il est aux commandes depuis douze ans, huit ans comme président, quatre comme premier ministre. Le 4 mars prochain, il sera à nouveau candidat à la présidence de la Russie, mais pour un mandat porté de quatre à six ans et qui pourra être renouvelé. Et c’est Dmitri Medvedev, le président actuel, qui deviendra chef du gouvernement. Un va et vient au sommet du pouvoir, voulu par le tsar Poutine, comme gage de stabilité.

Jusqu’à présent, l’opposition était verrouillée. Le parti de Poutine et Medvedev (« Russie unie ») concentrait tous les pouvoirs, avec une majorité des deux tiers au parlement, la Douma. La Russie a les institutions, les libertés, le pluralisme, bref toutes les apparences d’une démocratie mais les apparences seulement. Or celles-ci sont en train de craquer depuis les élections du 4 décembre. Irrégularités, trucages, bourrages d’urnes ? Les manifestants de Moscou réclamaient un nouveau scrutin. Le parti au pouvoir a cependant perdu quinze points en quatre ans et reculé de 315 sièges à 238 sur les 450 de la Douma. Cela lui laisse tout de même la majorité absolue. Les trois autres partis qui avaient été autorisés à prendre part au scrutin, les nationalistes ultras « libéraux démocrates » ont obtenu 56 sièges (12% des voix), les modérés de « Russie Juste », 64 sièges (13,2%) et les communistes, 92 sièges (avec 19% des voix). Le parti de Poutine n’aura aucun mal à trouver les cinquante ou cent sièges d’appoint pour faire passer ses réformes les plus audacieuses. Et pourtant, avec un fort taux d’abstention, ces élections, suivies par les manifestations, constituent un avertissement.

Une démocratie est réputée stable quand majorité et opposition sont organisées et en mesure de se succéder au pouvoir. Ce n’est pas le cas en Russie. Il n’y a rien de commun entre les communistes, les nationalistes, et les modérés alliés au Kremlin. Ils peuvent défiler ensemble dans la rue mais pas gouverner. Qui aurait la moindre chance de gagner contre Poutine en mars prochain ? A ce jour, la seule alternance se situe entre Poutine et Medvedev. Et c’est tout le problème, on le verra.

Le texte de cette chronique est paru dans Le Figaro Magazine du samedi 17 décembre 2011. Elle est reprise ici par son auteur, avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire. Les propos de François d’Orcival n’engagent que lui-même, et non pas l’Académie à laquelle il appartient ni l’Institut de France.

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