Nos terres deviendront-elles stériles ? Pourquoi une désertification des sols ?

avec Jacques Arrignon, de l’Académie d’agriculture de France et de l’Académie des sciences d’outre-mer

Les sols sont soumis à rude épreuve et les paysages se transforment parfois en véritables déserts. L’industrialisation, l’irrigation, le surpâturage ou encore la salinisation des sols sont autant de facteurs de stérilisation et de désertification. Ce phénomène qui s’étend tous les ans, représente une des catastrophes naturelles à long terme : l’UNESCO estime en effet qu’un tiers des surfaces émergées de la planète sont menacées par ce phénomène. Détails en compagnie de Jacques Arrignon agronome, auteur de Lutter contre la désertification, l’espoir agro-écologique.

La désertification est la « dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines » selon la convention des Nations unies. Concrètement, cela se traduit par une stérilisation des terres. Le cas le plus connu demeure l’avancée des déserts, mais la surexploitation des sols, le surpâturage ou encore la salinisation des sols jouent également un rôle important.
Ce phénomène ne cesse de s’étendre et inquiète d’autant plus la FAO qu’il accentue le phénomène de pénurie alimentaire.
« En 1977 la désertification touchait 44% de la surface continentale du globe. En 2000 elles sont passées à 63% []. En Chine on estime que 2500 km2 se désertifient chaque année » précise notre invité Jacques Arrignon. Un phénomène qui touche tous les continents. Près de 37% des terres africaines sont devenues impropres aux cultures, 33% en Asie et 14% en Australie. « Cela représente 1/6e de la population mondiale, soit, 900 millions de personnes dans 90 pays » ajoute-t-il.

L"homme demeure directement ou indirectement le responsable du développement de la désertification.
« Mais tout dépend à quelles échelles vous vous placez. A des ères plurimillénaires par exemple le Sahara n’a pas toujours été des dunes de sable. C’est le résultat de phénomènes climatiques très anciens qui ont converti cette zone fertile en désert. En revanche, depuis plusieurs centaines d’années, la main de l’homme s’est alourdie. Nous sommes plus nombreux sur Terre, nos besoins se sont accrus et nos « fantaisies » aussi » poursuit notre agronome. La consommation massive de certains aliments comme le soja ou la viande dans les pays industrialisés conditionnent l’exploitation des terres et favorisent la désertification.

Le surpâturage et l’irrigation à grande échelle accentuent eux aussi encore un peu plus la désertification. C’est le cas de l’irrigation de vastes champs de maïs par aspersion, occasionnant une perte de 50% de l’eau par évaporation. Sur ce point, Jacques Arrignon dans son ouvrage aborde des solutions pour limiter les pertes en eau []. « Mon confrère Jacques Cast a trouvé une technique qui consiste à enterrer une sorte de poche percée de petits trous dans laquelle on verse 2 litres d’eau deux fois par semaine. Résultat, il arrive à faire pousser sans problème un plant de mangue. Ça marche tellement bien qu'au Sénégal ils ont construit des usines de jus de fruit et de confiture de mangue ! C’est un système d’irrigation économique qu’il faut encourager ».
Autre facteur : La salinisation des sols, un phénomène également en expansion, occasionnant la stérilisation des sols. C’est en Australie que notre invité prend conscience du phénomène. « L’eau remonte par les forages, traverse des couches salées et restitue en surface des eaux saumâtres. Pourtant, le phénomène n’est pas irréversible jusqu’à une certaine échelle : il suffit d’appliquer du gypse pour dessaler les terres assez rapidement. Mais bien sûr, ce n’est pas possible pour la mer d’Aral ! »

Quelles solutions face à la désertification ?

Mis à part le gypse pour dessaler les sols et trouver des systèmes d’irrigation moins gourmands en eau, l’urgence consiste bien à trouver de nouvelles terres pour cultiver des céréales et nourrir autant que possible une population de 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050 [[Consultez notre émission L’humanité trouvera-t-elle encore de quoi se nourrir dans quelques dizaines d’années ? ]]. Actuellement, la solution d’urgence consiste à tailler dans la forêt amazonienne pour cultiver notamment du soja (en plus de la déforestation pour les métaux précieux).
On pourrait s’étonner que face à l’urgence, le président de la FAO Luc Guyau écrive dans la préface du livre de Jacques Arrignon qu'il faudrait « produire plus et mieux en respectant la capacité de renouvellement de nos ressources alimentaires et en tenant compte des évolutions climatiques » Est-ce vraiment possible ?. « Oui, répond Jacques Arrignon, et c'est réaliste. Je ne pense pas qu’il faille détruire de la forêt pour regagner des terres cultivables. On peut les reconquérir sur des territoires qui sont actuellement dégradés. C’est ainsi que je vois « produire davantage et mieux », à condition de bien connaître les milieux et d’être vigilants sur les produits fertilisants et les protecteurs phytosanitaires ».

Une des solutions de Jacques Arrignon consiste en « l’espoir agro-écologique » comme il l’écrit en sous-titre de son ouvrage. Une méthode qui consiste tout simplement à cultiver en faisant abstraction des produits chimiques pour les remplacer par des intrants naturels comme le fumier par exemple. Seul problème : la différence de rendement entre la culture « bio » et celle à grande échelle. « Il y a encore beaucoup de travail à faire, concède-t-il, surtout sur l’exploitation de terres inutilisées. Dans certains pays comme au Sahel, on peut mêler plusieurs cultures, avec des forêts sous lesquelles peuvent pâturer les bêtes ou sous lesquelles on peut produire des légumes ».

L’espoir agro-écologique se traduit aussi par le développement de cultures et élevages associés.
Premier exemple, celui de la rizi-pisciculture : « Dans ce cas précis, les poissons (le plus souvent des carpes) débarrassent les tiges de riz des insectes et des mousses. Quant aux fientes des poissons, elles enrichissent le sol. A Madagascar, ils sont ainsi passés à un rendement de 4 à 6 tonnes par hectare, le tout, sans produit phytosanitaire ».

Autre exemple, celui de l’association porc / poisson. « Toujours à Madagascar, ont été installées des porcherie au-dessus d’un étang dont les poissons se nourrissent des déjections »… Si les résultats semblent porter leurs fruits là-bas, il restera à convaincre les consommateurs en Occident.

Jacques Arrignon
© DR

Jacques Arrignon est agronome et forestier, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer et membre de l’Académie d’agriculture.

En savoir plus :

Jacques Arrignon, Lutter Contre la Desertification l'Espoir Agro Ecologique, éditions de l'Harmattan, 2011

Cela peut vous intéresser