Marc Ladreit de Lacharrière, Miquel Barcelo et Jean Clottes pour l’inscription officielle de la grotte Chauvet au patrimoine mondial de l’Unesco

Regards croisés d’un natif de l’Ardèche, d’un artiste contemporain et d’un préhistorien sur ce trésor de l’art de la préhistoire
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Le ministère de la Culture a annoncé le 21 janvier 2012 qu’il défendait au nom de la France, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, de la grotte Chauvet Pont-d’Arc. Retour sur le lancement de la soirée de présentation de la candidature auprès de l’État français, au musée du Quai Branly, avec l’Association pour la mise en valeur de la grotte Chauvet Pont-d’Arc en Ardèche (le mardi 6 décembre 2011) : interviews de Jean Clottes, de Marc Ladreit de Lacharrière et de Miquel Barcelo, artiste contemporain parmi les plus en vue, sur un chef-d’œuvre universel, datant de 25 000 à 36 000 ans.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : foc682
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La grotte Chauvet, située en Ardèche, à Vallon-Pont-d'Arc, le long de la combe d'Estre, a été découverte en décembre 1994 par trois spéléologues : Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Brunel. Elle abrite des peintures rupestres datant de 25.000 à 36.000 ans, parmi les plus anciennes au monde. Les experts scientifiques, les artistes et ceux qui ont pu les voir s'accordent à les considérer comme des chefs-d'œuvre, "absolus", serions-nous tenter d'ajouter. La découverte a été un choc. Les scientifiques ont identifié 420 représentations animales en 1995 et répertorié 14 espèces animales. La même année, la grotte est classée monument historique, son accès limité. En 2005/2006, le projet a pris un nouvel essor avec le choix du site d'implantation et l'élaboration du projet architectural.

Les traces au sein de la grotte sont intactes. La préservation de cet héritage qui nous vient de nos ancêtres aurignaciens est par conséquent un défi considérable pour les générations futures. Pour des raisons de conservation, l'État a décidé sa fermeture au public et en a limité l'accès aux scientifiques et aux personnes chargées de sa mise en valeur et de sa protection. Pour faire partager ce trésor de l'humanité, un ambitieux projet scientifique, touristique et culturel est né.

Grotte Chauvet, mains


La grotte fait l'objet de campagnes d'études bisannuelles menées par une équipe scientifique sous la direction du préhistorien Jean Clottes. Elle a été constituée dès le départ, à sa demande, comme pluridisciplinaire associant des géologues, des spécialistes de l'ADN et des préhistoriens. À la place d'une reconstruction de la grotte à l'identique, impossible en raison de ses dimensions, l'État, la Région Rhône-Alpes et le Conseil général ont lancé le projet de la création d'un Espace de restitution, à proximité, sur le site de Razal, sur les hauteurs de Vallon-Pont-d'Arc. À l'intérieur de ce lieu qui devrait devenir un haut-lieu du tourisme culturel, à l'échelle internationale, les traces peintes, gravées seront reproduites à l'identique, à hauteur du visiteur. L'agence d'architecture Fabre-Speller a été sélectionnée et les partenaires (Département, État, Région, Europe) engagent 43 millions d'euros pour sa réalisation. Le permis de construire a été déposé en 2011 et la société Kléber-Rossillon, spécialisée dans les biens culturels gèrera l'Espace de restitution.

Selon Pascal Terrasse, La Grotte Chauvet-Pont-d'Arc constitue un grand voyage dans le temps, une merveilleuse plongée au cœur de l'humanité, un repère majeur de l'histoire de la civilisation. En révélant l'invisible en Ardèche, au cœur des Gorges de l'Ardèche, nous allons offrir à l'humanité un véritable parcours initiatique. Nous guiderons les générations actuelles et futures vers nos racines d'hommes libres et de penseurs universels.

Grotte Chauvet, rhinocéros


Marc Ladreit de Lacharrière, membre de l'Académie des beaux-arts, préside l’Association pour la mise en valeur et le rayonnement de la Grotte Chauvet en vue, non seulement de son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco mais aussi en vue de participer au rayonnement culturel de la grotte sur les plans national et international. L'Association est destinée à retenir en son sein toute une série de personnalités, dont le Chancelier de l'Institut, Gabriel de Broglie, membre du comité d’honneur.

Marc Ladreit de Lacharrière, musée du quai Branly, 6 décembre 2012
©Yves Forestier


Tout le monde peut rejoindre l’Association. Il n’est pas indispensable d’être Ardéchois, on peut être Français ou non. Des Japonais veulent par exemple en ce moment, rejoindre l'Association parce qu’ils sont très intéressés par la grotte Chauvet, la plus ancienne du monde où l’art est déjà présent. Des Brésiliens, des Américains l'ont déjà rejointe. Mondialement, la grotte prend depuis sa découverte une très grande importance sur le plan culturel. L'Association a pour mission de favoriser son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle organisera des colloques, des conférences, et doit venir en aide à tous ceux qui à titre divers veulent collaborer à la mise en valeur de cette grotte. Concrètement, des gens peuvent déposer des projets auprès de l'Association.

Ce n'est donc pas en tant que mécène que Marc Ladreit de Lacharrière intervient dans l'Association. La grotte est financée en totalité par l’État, le Conseil général de l’Ardèche et par le Conseil Régional pour 43 millions d'Euros. L'engagement de l'académicien réside dans un soutien indéfectible à sa région de naissance : La raison est très simple : c’est que je suis Ardéchois de naissance et d’origine et que ma famille est installée depuis plus de 750 ans dans cette région. C’est à ce titre que dès que je peux contribuer au rayonnement culturel de ma région natale, je me mobilise.

Grotte Chauvet, lionne

Depuis cette interview le 6 décembre 2011 au musée du Quai Branly, dans le cadre du lancement de l'Association, Marc Ladreit de Lacharrière a toutes les raisons de se réjouir puisque le gouvernement français a retenu 2 candidatures à présenter à L'UNESCO : celle de la grotte Chauvet et celle des "Climats du vignoble de Bourgogne". Les deux seront proposées au nom de la France, à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. L'annonce en a été faite le samedi 21 janvier 2012 par le ministère de la Culture. Le dossier de candidature à l'UNESCO est depuis évalué par le comité mondial du Patrimoine pendant 18 mois. La réponse est donc attendue pour 2013 et l'année 2014 devrait voir l'inauguration de l'Espace de restitution et l'accueil des premiers visiteurs.

Conférence pour le lancement de la candidature de la Grotte Chauvet, musée du Quai Branly, le 6 décembre 2012
©Yves Forestier


Jean Clottes, préhistorien, évoque dans cette émission, sa première visite dans la grotte, l'émotion d'un jour inoubliable. Aujourd'hui encore, quelques figurations animales sont découvertes, à la marge cependant du corpus recensé à ce jour. La Grotte Chauvet est unique à plus d'un titre. Sur ses parois ornées, figure la plus ancienne représentation d'un corps féminin, avec à ses côtés un homme-bison, plus de la moitié des félins reconnus dans tout l'art pariétal, mais aussi le premier bœuf musqué représenté. Pour ce dernier, on ne connaissait jusqu'alors, que des représentations gravées sur des objets en os, mais non sur des parois. La grotte -qui ne fut jamais habitée mais fréquentée- a connu plusieurs périodes de "fréquentation" jusqu'à l'éboulement de son entrée. Grâce aux campagnes scientifiques de la grotte Chauvet, le génome de l'ours des cavernes a été reconstitué et identifié même comme une espèce en voie d'extinction, il y a 28 000 ans ! La grotte n'a pas livré tous ses secrets, d'autres surprises pourraient advenir.

Grotte Chauvet, groupe de lionnes

La parole est donnée à un artiste pour le troisième volet de l'émission. Pour le plasticien Miquel Barcelo, au micro de Marianne Durand-Lacaze, la grotte Chauvet est un opéra.

Miquel Barcelo peintre, sculpteur, céramiste, compte parmi les artistes les plus en vue. Ses œuvres sont présentes sur le marché de l’art contemporain mondial et le public des biennales d’art peut suivre régulièrement son travail, en plus des grandes expositions qui lui sont consacrées. Parmi ses œuvres, la décoration de la chapelle Sant Pere de la cathédrale de Palma de Majorque en 2007, et dans un autre registre, la commande de l’État espagnol pour la coupole du palais des Nations Unies à Genève en 2009. Né sur l’île espagnole de Majorque aux Baléares, vivant et travaillant entre Majorque, Paris et l’Afrique depuis sa découverte de la falaise de Bandiagara au Mali en pays Dogon en 1988, le plasticien s’intéresse depuis longtemps à l’art pariétal de la préhistoire.

Miquel Barcelo, Musée du Quai Branly, 6 décembre 2012
©Yves Forestier


Miquel Barcelo fait partie du comité scientifique et a eu la chance de descendre dans la grotte. C’était un choc énorme. Dans une vie d’artistes des chocs esthétiques il y en a 4 ou 5, peut-être 10. La grotte Chauvet en fait partie. J’avais visité beaucoup d’autres sites mais Chauvet va beaucoup plus loin. Au-delà de son ancienneté, c’est un grand chef d’œuvre "tout court" comme quand on regarde la chapelle Sixtine. La grotte Chauvet est bien plus importante que l'UNESCO comme institution. Pour moi, l'intuition que la plus grande partie de ces œuvres sont faites par une seule main, un seul artiste, est une chose très émouvante.

Miquel Barcelo dit combien l’économie de moyens de ce chef d'œuvre est tout à fait séduisante pour l'artiste qu'il est. Mais l’empathie avec l’animal que l'on ressent en regardant ces parois ornées est ce qui le touche le plus car elle ne se retrouve pas dans l’art : la relation avec l’animal est dans la grotte Chauvet tout à fait particulière. Pour lui, on doit apprendre à lire l’histoire de l’art d’une autre manière. Et si on lui demande Comme si l’homme n’était qu’un animal parmi les autres ? Sa réponse est positive car le regard sur l’animal n’y est pas supérieur. La grotte Chauvet va changer complètement la manière qu’on a de regarder ce qu’on appelle la naissance de l’art, l’art pariétal. On a un peu la même relation à l’art primitif que l’on avait à l’art africain que je connais bien. Il y avait cette relation colonialiste.

Votre vision de l’art s’en est-elle trouvée modifiée ?
Oui absolument.

Pour en savoir plus

- Visite de la Grotte Chauvet-Pont-d'Arc sur le site web du ministère de la culture :
- Marc Ladreit de Lacharrière, membre de l'Institut depuis 2005 au sein de l'Académie des beaux-arts dans la section "membres libres".
- Site de Miquel Barcelo
- Parmi les livres de Jean Clottes : Les chamanes de la préhistoire : Transe et magie dans les grottes ornées, suivi de Après Les Chamanes, polémiques et réponses, Points, 2007 ; La grotte Chauvet, l'art des Origines, Seuil 2010 ; Les Félins de la Grotte Chauvet, collection Les cahiers de la Grotte Chauvet, Seuil 2005.
- Pour aller plus loin, signalons le très beau livre de Pierre Azéma, La préhistoire du cinéma, Origines paléolithiques de la narration graphique et du cinématographe..., préfaces de Jean Clottes et de Bernard Tavernier, Éditions Errances, Paris 2011. L'ouvrage comprend un CD d'1 H 30 de vidéo.
- Numéro hors-série de la Revue des Deux Mondes, Grotte-Chauvet- Pont-d'Arc 33 000 ans 33 000 mots, novembre 2011

Association pour
la mise en valeur et le rayonnement de la Grotte
Chauvet-Pont-d’Arc en Ardèche
97, rue de Lille – 75007 Paris
Contact : Elise Longuet
Tél. : +33 (0)1 47 53 61 75
Mél. : elonguet@fimalac.com

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