L’épée de l’académicien Hugues Gall et l’art des pierres

avec Philippe Nicolas, Maître d’art chez Cartier
Hugues GALL
Avec Hugues GALL
Membre de l'Académie des beaux-arts

Philippe Nicolas, sculpteur et graveur sur pierres, raconte dans cette émission son métier au service de l’exceptionnel. Il parle de l’élaboration de l’épée de Hugues Gall, de l’Académie des beaux-arts que vous entendrez ici témoigner sur le cristal de roche sculpté par le Maître d’art.

«Etre Maître d'art n'est pas un métier !» Dans cet entretien, Philippe Nicolas, Maître d'art chez cartier, nous explique que c'est plutôt «une vocation». En effet, on ne peut compter toutes les heures à sculpter les pierres par le simple vocable de "métier". Maître d'art, c'est aussi une appellation, un titre qui va de pair avec l'envie de transmettre.

Les pierres ont de la vie

Pour Philippe Nicolas, les pierres ne sont pas amorphes, elles ont une vie. «J'ai appris à les connaître. J'aime particulièrement les quartz qui ont un physique représentatif de leurs croissances. Ces pierres ont plusieurs millions d'années pour la plupart et on ne sait pas toujours comment elles naissent. Quelquefois elles viennent du plus profond de la terre, sous des chaleurs inimaginables, parfois des subductions ou de l'écorce terrestre... J'aime observer l'intérieur car on peut souvent y voir des givres, des craquelures ou des ailes de papillon... C'est sublime. En les travaillant, j'ai l'impression de leur redonner de la vie. Il y a une forme de résilience, une résurrection, une renaissance car toute la mémoire revient ! Je les contemple chaque jour et je m'inspire de ce qu'elles m'apportent.»

Hugues Gall, de l’Académie des beaux-arts, à gauche, a confié à l’atelier JAR l’élaboration de son épée d’académicien. Philippe Nicolas, à droite, a sculpté le fameux cristal de roche qui orne l’épée. Il est aujourd’hui Maître d’art chez Cartier

Comme Roger Caillois, de l'Académie française, les pierres «insignifiantes» intéressent beaucoup notre invité. «L'académicien parlait très bien de l'immortalité des pierres. Il s'intéressait au regard que l'on pouvait avoir sur les pierres.» Roger Caillois, qui avait la ferveur des pierres, aurait trouvé en Philippe Nicolas un bel allié !

Le cristal de roche sur l'incroyable épée de l'académicien Hugues Gall

En 2002, Philippe Nicolas travaille pour le joaillier JAR. Hugues Gall, de l'Académie des beaux-arts, vient d'être élu à l'Institut et doit donc préparer son discours de réception ainsi que penser à la réalisation de son épée. C'est à Joël Rosenthal (JAR) qu'il fait appel et c'est donc tout naturellement par la suite qu'il rencontre notre invité. Ce dernier explique : «L'épée doit être représentative de l'oeuvre de l'académicien. Sur celle-ci, le thème était celui de l'opéra et de l'art lyrique. J'ai sculpté le cristal de roche rarissime qui orne l'épée. Ce cristal résiste à toutes les vibrations et capte les mauvaises ondes.»

Cette épée rappelle l’envol de la musique par ses ailes en cristal de roche et diamants. Au centre figure un rubis "de théâtre" serti par des griffes en platine noirci
Les ailes évoquent les dieux de la Grèce antique, Apollon et Pan, symboles de rigueur et de folie. La gravure porte la devise "Ne pas subir" et, avec les initiales "H.R.G." d’Hugues Randolph Gall

Le cristal qui sert de pommeau à l'épée décrit deux ailes qui se déploient. On peut y voir tous les détails soyeux. Le travail, comme le dit Hugues Gall est «époustouflant». «Ces ailes représentent la Victoire de Samothrace. Sur la poignée on peut voir une reproduction du fameux Ephèbe de Critios (qui se trouve à l'Acropole d'Athènes). Au milieu de la garde de l'épée il y a une pierre rouge, en hommage au monde du théâtre où l'on utilise beaucoup ce type de pierres. Plus bas, il y a un bronze, sorte de petit dieu Pan qui exprime l'inspiration bachique de tout artiste. En dessous, sur la garde, j'ai voulu inscrire une devise qui m'est chère : Ne pas subir. Elle a guidé toute ma vie. C'est l'idée de la liberté et du libre arbitre.

- Quand je me suis rendu à l'atelier de JAR, rue du Mont Thabor, j'ai été ébloui et comblé. Cette épée est particulière à mon coeur et elle m'a été livrée avec un bloc de cristal de plusieurs kilos dans lequel on a creusé un espace qui permet de ficher l'épée de façon à ce qu'elle reste droite.»

La lame se tient dans un bloc de cristal de roche. L’épée a été créée par JAR, place Vendôme à Paris

Sur le bois pétrifié d'il y a 10 millions d'années...

Le graveur et sculpteur sur pierres nous explique qu'il utilise aussi dans son travail le bois pétrifié, un incroyable matériau provenant d'arbres qui ont vécu il y a 10 millions d'années, du temps des dinosaures. Ces végétaux sont tombés dans l'eau, dans les lagunes et la silice a pris la place de la structure de l'arbre. Avec le temps, cette structure s'est pétrifiée. Ce n'est donc pas un fossile. Philippe Nicolas a réalisé sur du bois pétrifié la fameuse panthère de Cartier présentée à la biennale des antiquaires au Grand Palais en 2010.

Philippe Nicolas sait rendre ses lettres de noblesse à la philosophie du savoir-faire et à la lenteur pour aboutir à une oeuvre exceptionnelle


Transmettre le savoir-faire pour le faire perdurer

Savoir-faire et métier ne veulent pas dire la même chose. C'est un peu ce que veut faire comprendre Philippe Nicolas. «J'ai besoin de transmettre mon savoir-faire, c'est comme une philosophie de vie. Je parle de travail du coeur, de dialogue, d'histoire. C'est la grande difficulté de notre temps. Dans une société qui va tellement vite, la lenteur doit reprendre des lettres de noblesse. Dans notre travail, nous devons nous imposer de prendre le temps. Il faut aussi savoir arrêter une pièce car on pourrait sans difficulté passer une vie dessus.»

- «Etre un artiste, c'est avoir une mission. Il y a une différence de définition avec le mot artisan. Je parle d'héritage culturel : je suis souvent ému quand je vois des pièces anciennes comme des pièces chinoises datant de 3000 ans avant J.C. Je pense alors à l'effort de travail que cela a nécessité.»

- «Chaque pièce a une histoire, on ne peut donc pas en préférer plus une qu'une autre. Il faut laisser libre cours à la création et ne pas la frustrer. J'aime bien l'histoire de Roxane, la favorite du sultan dans Les lettres Persanes de Montesquieu. Cette femme avait une relation avec un eunuque pendant que le sultan était absent. Le sultan avait condamné à mort l'eunuque et Roxane, avant de se suicider, avait écrit une lettre magnifique sur la liberté d'esprit : «comment as-tu pu penser que je fusse assez crédule pour m'imaginer que je fusse dans le monde que pour adorer tes caprices. J'ai pu vivre dans la servitude mais j'ai toujours été libre. »»

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