En Ecoute facile : la Chine de Pierre-Jean Rémy

Dans la série « les hauts-lieux des académiciens », quelques textes de l’écrivain diplomate, de l’Académie française
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Dans le cadre de notre série En Ecoute facile, pour vous faire apprécier des "hauts-lieux" décrits par académiciens, nous vous proposons quelques petits tableaux de la Chine, brossés par Pierre-Jean Rémy, extraits de deux de ses principaux ouvrages :
La Chine, journal de Pékin (1863-2008), publié en 2008 aux Éditions Odile Jacob et Le Sac du Palais d’Eté, publié en 1971 aux Éditions Gallimard. Rappelons simplement que P.J. Rémy est né en 1937 et qu’il nous a quittés en 2010. Il avait été élu à l’Académie française en 1988.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : eff512
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Diplomate et écrivain, P-J Rémy a effectué de nombreux séjours en Chine, sur une période de 45 ans, entre 1963 et 2008. Dans plusieurs de ses écrits sur la Chine, il témoigne de l’incroyable évolution économique, sociale et culturelle de cet immense pays : Voici un passage extrait de l'avant propos de son livre La Chine, Journal de Pékin (aux Éditions Odile Jacob, Décembre 2008)

Porte dans un Hutong à Pékin
© DR

« Quel bond en avant! Un demi-siècle après ce Grand Bond en avant qui aurait dû en 1958 permettre à la Chine d’égaler les Etats-Unis en quelques années, quel prodigieux et véritable saut fait par la Chine au cours des deux dernières décennies ! Des quelques centaines de loupiotes qui clignotaient au—dessus des toits de la place Tiananmen au soir du 1er octobre 1964, ma première fête nationale chinoise en Chine, au grandiose spectacle réglé par Zhang Yimou pour l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, l’écart est infiniment plus grand que celui qui sépare un feu d’artifice de village et l’embrasement de la tour Eiffel. J’ai filmé le feu d’artifice d’octobre 1964, le film m’en est resté, ces fusées rouges et bleues, ce maigre bouquet final applaudi par une foule enthousiaste: presque émouvant.

1963-2008: une nouvelle Chine surgit encore une fois d’un passé qui multiplie tous les temps de l’histoire, de la plus ancienne Chine retrouvée au crépuscule d’un maoïsme auquel, quoi qu’on en dise, les dirigeants d’aujourd’hui comme sa population savent ce qu’ils doivent….»

Toits de la Cité interdite
© DR

Dès son arrivée à Pékin en 1964, le jeune diplomate, de son véritable nom Jean-Pierre Angrémy, imprégné des œuvres poétiques et ethnographiques de Victor Segalen, se lance à la découverte de Pékin.
Victor Segalen, en effet, était un romancier d'origine bretonne, ethnologue, médecin de la marine, qui avait effectué des voyages en Chine dès le début du XXè siècle. Il était né en 1878 et mort en 1919. Pierre-Jean Rémy partage donc avec Segalen un vif amour de la Chine.

Voici un extrait du livre célèbre de Pierre-Jean Rémy : Le Sac du Palais d'été, aux Éditions Gallimard, Septembre 1971 - pages 42-43 :

« - Voilà cette Chine que je suis venu pour trouver...
La tête pleine de mots et d'images Guillaume parcourait la campagne autour de Pékin, vivait le contraste entre la première caravane de la saison, les chameaux à longs poils qui venaient de la passe de Nankow et plus loin de Gobi, et le cri des soldats à l'entraînement dans les tours et les temples aux toits vernissés entre Pa Ta Chou et la Colline parfumée.

A midi les cerfs-volants géants montaient droit dans le ciel au-dessus de Tien An Men, la place de la Porte de la Paix Céleste. Des vieillards en dévidaient l'écheveau de corde et papier et les cerfs-volants représentaient des tigres ou des aigles. Des petits enfants regardaient les vieux, appliqués comme eux, graves. Ils commentaient en quelques mots très brefs, sentencieux, les mouvements du vent, les courants de l'air...»

Pierre-Jean Rémy le diplomate joue volontiers les touristes : armé d'un appareil photographique il observe non seulement les lieux mais les personnes. Et son talent d'écriture restitue les sentiments et les émotions qu'il éprouve. Nous vous proposons un autre extrait de La Chine – Journal de Pékin (aux Éditions Odile Jacob, décembre 2008)
Le 12 Février 1965, l'Académicien écrit :

Vue de la Cité interdite
© DR


« Toujours le même soleil éclatant, mais cette fois une tempête de vent étonnante. Le sable de Gobi qui vole dans l’air glacé. Longue promenade photographique dans la Cité interdite. Dans l’angle sud-est de la cour, relativement étroite, qui sépare Qianqingmen , la porte de la Clarté éblouissante, du palais de la Clarté éblouissante, comme embusqué, je photographie des jeunes personnes qui descendent les superbes marches de marbre de la terrasse au parapet. Tout engoncées dans leur veste bleue, parfois des vestes de couleur, une grosse écharpe autour du cou, elles semblent se ressembler toutes mais sont toutes différentes. Beaucoup portent des manteaux de soldat : beaucoup? Elles ne sont pourtant pas très nombreuses, comme ne sont pas nombreux les visiteurs de la Cité interdite, ce jour d’été en plein hiver, si froid, si radieux...

A partir du printemps 1966, toujours dans Le Sac du Palais d’été (aux Éditions Gallimard, 1971), Pierre-Jean Rémy décrit Pékin en pleine révolution culturelle. L’un de ses personnages se prénomme Simon :

« Simon enfin atteint la Tour de la Cloche. La poussière monte à l’assaut de sa base massive, des enfants demi-nus jouent dans son ombre. Derrière elle, plus au nord, il y a le toit vernissé de ce temple, derrière un mur encore presque rouge, dont Simon n’a jamais su ce qu’il était. Une porte ouverte pourtant, pour la première fois. Simon s’avance prudemment. C’est un jardin avec de grands arbres penchés, et au fond se dresse le temple dont il n’a jusqu’ici vu que le toit. Un homme âgé transporte des feuilles mortes dans un petit panier et les brûle à l’écart. Un enfant joue sur les marches d’un escalier de pierre.
Revenu vers la Tour de la Cloche, Simon croise un cortège de jeunes gens qui portent tous à bout de bras des effigies du président. Ils sont arrivés de nulle part dans une cacophonie de tambours et de gongs et repartent de même. La place est à nouveau déserte. L’enfant qui jouait dans le jardin est sorti sur le pas de la porte mais le vieux l’a rattrapé et la porte s’est refermée. Simon entend un verrou que l’on pousse et la ville est plus jaune encore, plus grise, plus sèche. »


Trente ans plus tard, c’est une tout autre atmosphère qui règne sur Pékin en pleine expansion. La ville est totalement changée par d’immenses travaux, et le promeneur part en quête de « son » Pékin d’autrefois.

Vous allez lire dans cet extrait de La Chine-Journal de Pékin (1863-2008), le mot « hutong », désignant les rares ruelles qui sillonnent encore Pékin, vestiges de la vieille Chine, non encore urbanisée ni affectée par les nouvelles constructions.

Yuer Hutong, à Pékin
© DR


VENDREDI 28 MARS 2003. « Je me fais conduire en voiture jusqu'à Liulichang. D'abord une rue sans intérêt, puis un hutong qui commence à ressembler à quelque chose. Je prends des photographies. Ces images toujours fulgurantes de maisons anciennes, une petite boutique, un marchand de beignets, un marchand de crêpes et puis, au-dessus, ce qu'il reste de la maison, celle juste derrière, qui sera bientôt abattue. Enfin, derrière encore, d'immenses bâtiments déjà debout, des grues, de grands buildings. Naturellement terrifiants: je photographie .

Je m'enfonce de plus en plus vers l'est, dans des quartiers populaires, je photographie. Je semble toujours retrouver mon chemin. Les rues deviennent parfois de plus en plus étroites. Hutong traditionnels, belles portes sculptées ou minuscules entrées entre deux boutiques : qui dit qu'il ne reste rien de Pékin? Petits magasins, échoppes. Une vieille femme assise sur trois marches de pierre, qui fume une pipe ... »

Vendeuses de brochettes à Pékin
© DR

Parcourant ce « Pékin qui s’en va », Pierre-Jean Rémy se raccroche au bonheur de saisir des visages, des ambiances, toujours grâce à la photographie :

« 28 Mars 2003 - Hier ou ce matin, je ne sais plus, j'ai photographié une petite fille dans un hutong. C'est un cul-de-sac, elle est toute seule au milieu, j'avance vers elle, et elle se met à faire de l'acrobatie. Pour moi tout seul. Extraordinaire acrobatie de petite fille, sur un pied, se renversant en arrière, et sauts périlleux. Elle a l'air tout heureuse. Derrière nous, je vois un vieux qui nous regarde, avec un bon sourire. Tout cela, c'est le Pékin qu'on aime, qu'on aime désespérément. Le Pékin qui s'en va.

Je le vois encore cet après-midi tandis que je me promène dans les rues, prenant de petites notes sur ma petite machine à dicter. Je vais les recopier tout à l'heure, en vrac. Je continue à avancer vers la Cité interdite. Je marche le long de ces petites guitounes où l'on sert des plats cuisinés, des brochettes, jusqu'à des étoiles de mer frites, qui ne sont pas des étoiles de mer, mais ça ne fait rien. Peut-être soixante petites boutiques peintes en rouge, serveuses à casquettes rouges, gaies et transpirantes les unes à côté des autres. Je photographie beaucoup../ Bonheur de saisir un visage, une gamine ou une vieille femme en train de croquer un beignet. Manger une tranche de melon à belles dents. La fumée tourbillonnante des feux de brochettes. Trois jeunes gars, appuyés à un parapet, qui avalent un bol de nouilles : la fille avec eux a de petites lunettes tout embuées de vapeur
J'avance toujours vers la porte est de la Cité interdite, je photographie ce qu'on voit par l'embrasure de la porte. Au-dessus des douves, des pêcheurs.
La lumière est belle. C'est une fin du jour, la lumière voilée. Je photographie des entrepôts sur la droite, que reflètent les douves, des grands arbres qui poussent.

De grands arbres: j'allais oublier de le dire, tous les arbres blancs le long de la Cité interdite, ont éclaté d'un seul coup. Les gens qui les regardent fascinés par tant de beauté : le blanc des fleurs se détache sur les murailles pourpres de la Cité. Des passants s'arrêtent. .. Une jeune fille tend la main, cueille une fleur pour son vieux grand-père, debout devant lui, figée dans ce geste. C'est beau, c'est doux. Il fait étonnamment chaud.

Vue d’Hutong
© DR


On peut rappeler que Paul Claudel, membre de l'Académie française, fut lui aussi diplomate en Chine de 1895 à 1909, évidemment de nombreuses années avant Pierre-Jean Rémy, près de 60 années avant.

Pour partager la passion de Pierre-Jean Rémy pour la Chine, vous pouvez lire
- Le sac du palais d’été Prix Renaudot en 1971, aux Éditions Gallimard, 1971

- Chine, un itinéraire, en 1978, paru aux Éditions Olivier Orban

- un roman intitulé Chine en 1990, paru aux Éditions Albin Michel

- Chambre noire à Pékin en 2004, paru aux Éditions Albin Michel

- La Chine, Journal de Pékin (1963- 2008) paru aux Editions Odile Jacob.

En savoir plus :

- Consultez la fiche de Pierre-Jean Rémy sur le site de l'Académie française

- Ecoutez d'autres émissions de notre série “En écoute facile”->rubrique161]. Voici quelques exemples :

- En écoute facile : Le lion de Buffon, de l’Académie française et de l’Académie des sciences

- En Ecoute facile : qui est René de Obaldia ?

- En Ecoute facile : qui est Jacqueline de Romilly ?

- En Ecoute facile : L’Albanie d’Ismaïl Kadaré, de l’Académie des sciences morales et politiques

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