Philippe Kourislky : Le manifeste de l’altruisme

L’académicien des sciences, professeur au Collège de France, plaide pour le bien collectif
Philippe KOURILSKY
Avec Philippe KOURILSKY
Membre de l'Académie des sciences

Dans son manifeste, l’immunologiste et académicien Philippe Kourilsky liste 40 propositions d’actions pour un libéralisme altruiste, une justice sociale, une nouvelle philosophie politique... en résumé, comment penser en termes collectifs plutôt qu’en une association d’intérêts individuels. Explications en compagnie de l’auteur qui différencie nettement altruisme et générosité et a créé un néologisme pour l’occasion : altruité !

_ Le terme d’altruisme a vu le jour en 1850 sous la plume d’Auguste Comte. Le philosophe a écrit que par nature, les affections altruistes sont désintéressées ; une sorte de religion de la gentillesse.
Mais ne confondez pas altruisme et générosité. Philippe Kourilsky dans son Manifeste de l’altruisme illustre cette différence par un exemple parlant :
Faire un don à une fondation est un acte de générosité mais il ne s’agit pas d’altruisme, il s’agit d’un choix : celui d’être généreux.
En revanche, payer ses impôts dont on sait qu’ils serviront à la collectivité est un devoir d’altruisme, ce n’est pas un acte de générosité !
On peut donc être altruiste sans être généreux et inversement, généreux sans être altruiste.

Le premier livre intitulé Le temps de l’altruisme paru en 2009 se voulait être un point d’ancrage essentiellement épistémologique. Le manifeste de l’altruisme est pour sa part un engagement politique au sens général du terme.
Et l’argumentaire de notre invité est ici le suivant : toute liberté s’accompagne nécessairement d’un devoir d’altruisme. « Nos libertés individuelles ne sont pas seulement limitées par celles des autres comme on le dit d’ordinaire. Elles sont également construites grâce à celle des autres. C'est d’ailleurs ce que nous montre la globalisation où nous sommes complètement interdépendants » constate Philippe Kourilsky.

Mais la notion d’altruisme est source de malentendu. « On répertorie une quinzaine de définitions différentes de l’altruisme ».
Alors pour déterminer l’altruisme rationnel qui lui paraît fondamental, Philippe Kourilsky a créé un néologisme : l’« altruité ». « Cet altruisme rationnel, et de l’ordre du devoir, est un pendant indispensable de la liberté » résume-t-il.

Et c’est en observant cette dualité croissante entre la protection de la planète et la nécessité de nourrir quelque 9,5 milliards d’habitants d’ici 2020 que Philippe Koursilsky s’est penché sur cette notion d’« altruité ». « Je suis convaincu que nous n’arriverons pas à gérer simultanément les deux. Il faut repenser la question de la liberté et introduire l’altruité comme un devoir individuel, censé ensuite produire des effets collectifs ».

Autre confusion rhétorique, mais sur le plan économique cette fois-ci : la confusion entre l’équité et l’égalité. Les pays riches, moins riches depuis la crise, seraient tenus de faire un effort accru, et les pays qui commencent tout juste à s’enrichir seraient mis en demeure d’abandonner une partie de ce qu’ils viennent tout juste de gagner… Comment mettre tout le monde d’accord ?

« On ne peut pas tomber d’accord si la notion d’équité n’est pas présente » résume l’académicien. « Prenez les négociations peu brillantes de Copenhague sur le climat : elles ont en partie échoué parce que les pays les moins riches ont estimé que les propositions des pays riches n’étaient pas justes. Or au niveau international, les décisions se prennent par consensus, on ne vote pas. Nous sommes donc tous censés tomber plus ou moins d’accord » argumente-t-il. Et pour cela, l’alternative, c’est l’équité.

L’immunologiste prône également un libéralisme altruiste : un libéralisme à prendre au sens de la philosophie des Lumières où la liberté est au centre des intentions et où les autres vous aident à construire cette liberté. « La vision du marché dérégulé est une vision parmi d’autres du libéralisme, mais il n’est pas que ça ».

Si les nations occidentales ne sont pas dans un état flamboyant après la crise économique et morale, l’origine commune de ce malaise est la notion de liberté selon notre invité. « qui est au cœur de tout ces systèmes est pensée de manière partielle : on pense la liberté sans mettre en face les devoirs qui lui sont associés. L’idée de liberté est incomplète parce que la notion d’altruité n’a pas été correctement incorporée ».

Et il poursuit : « La notion de liberté s’est déplacée au cours de l’histoire sous forme de théorie libérale avec la création de droits sociaux de plus en plus abondants. Ces droits sociaux sont en fait autant de devoir transférés à la collectivité. Mais le problème c’est que dans la foulée on a oublié les devoirs individuels associés à la liberté. À force de transférer des devoirs à la collectivité sans que les individus se remettent en question par rapport à ces transferts et à leurs devoirs individuels, on arrive à une impasse ».
Exemple nous est effectivement donné aux Etats-Unis, pays très libéral qui n'a voté que très difficilement la mise en place d’une couverture sociale universelle.
« Là-bas, il existe une confusion très forte entre générosité et altruité. L’individu étant libre de faire ce qu’il veut, il est libre d’être généreux. Il y a quelques mois, Bill Gates l’ancien informaticien transformé en mécène a demandé à ce que les Américains les plus riches ne paient plus d’impôts ». Si la générosité est une bonne chose, elle ne peut cependant pas se substituer au devoir d’« altruité ».

Philippe Kourilsky est immunologiste, membre de l’Académie des sciences, professeur au Collège de France, directeur honoraire de l’Institut Pasteur.

En savoir plus :

- Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France
- Philippe Kourilsky, membre de l'Académie des sciences

À écouter aussi La biologie dans l’université et les institutions de recherche françaises par Philippe Kourilsky

- Philippe Kourilsky, Le Temps de l'altruisme, édition Odile Jacob, 2009
- Philippe Kourilsky, Le manifeste de l'altruisme, éditions Odile Jacob, 2011

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