Etudes épidémiologiques : comment démêler le vrai du faux ?

avec le professeur André Aurengo, de l’Académie nationale de médecine

Étudier la répartition des maladies dans les populations, établir les facteurs qui peuvent influencer cette répartition, c’est le rôle des études épidémiologiques. Elles ont prouvé par exemple que les interactions étaient fortes entre la consommation de tabac et le cancer du poumon. Mais aujourd’hui, les études épidémiologiques sont souvent utilisées pour « rassurer » les populations, sans réelle visée scientifique, discréditant ainsi la nature même de ces études. Comment discerner le vrai du faux ? Réponses en compagnie d’André Aurengo de l’Académie nationale de médecine.

Il existe deux types d’études épidémiologiques :

- Les études cas-témoins :
Elles comparent l’exposition antérieure aux facteurs de risque supposés des individus atteints d’une affection particulière (cas) et celle de personnes saines (témoins) afin de vérifier si les personnes atteintes de la maladie ont connu une exposition supérieure (ou inférieure).
Le plus : Ces études ont l’avantage de permettre des recherches sur des maladies rares sans avoir à suivre des populations très importantes. Elles ne sont pas onéreuses.
Le moins : Cette reconstitution est rétrospective et se base sur nos connaissances du passé. L’étude peut reposer sur des documents objectifs (travailler sur des clichés radiologiques pour une étude consacrée aux risques de la radiologie par exemple) ou se base sur un interrogatoire. Dans ce dernier cas, « deux problèmes se posent » nous explique André Aurengo : « Tout d'abord celui de la mémoire : se rappelle-t-on vraiment des détails datant d’il y a 20 ans. Dans un second lieu, il existe ce qu’on appelle des biais d'anamnèse (ou des biais de mémorisation) : les personnes touchées par une maladie quelconque auront tendance à se rappeler les facteurs suspectés d’avoir pu la provoquer ». Les résultats peuvent donc être faussés si un certain degré d’incertitude n’est pas pris en compte.

« Le degré d’incertitude n’est pas très grave, on fait avec » poursuit notre invité. En revanche « ce qui l'est beaucoup plus, c’est que la plupart des auteurs font comme si l’incertitude n’existait pas. Ils sous-estiment considérablement leurs intervalles de confiance, c'est-à-dire la zone dans laquelle doit se trouver le vrai facteur de risque ». _ Lorsque les intervalles de confiance sont sous-estimés, les études montrent un risque qui n'existe pas. C’est ce qu’on appelle un faux-positif.

- Les études de cohortes :
Elles suivent un groupe de personnes en bonne santé à différents niveaux d’exposition et évaluent les effets sur leur santé au cours du temps. Dans ces études, l’exposition a lieu avant l’apparition de la maladie, condition nécessaire pour établir une éventuelle causalité. L’exposition est donc plus facile à cerner.
Le plus : les études de cohortes sont utiles pour des études de fond, et permettent de travailler notamment sur les maladies rares.
Le moins : elles sont très longues, coûteuses et demandent un cadre logistique important.

Qu'il s'agisse des études cas-témoins ou de cohortes, chacune a ses forces et ses faiblesses. Dans le cas des cas-témoins il faut notamment rester vigilant dans l’interprétation des résultats.
Dans ce dernier cas, faut-il y voir une mauvaise foi des chercheurs ou des laboratoires mandatés pour réaliser des études ? « Non, Les chercheurs n’utilisent tout simplement pas les méthodes adéquates c’est tout » affirme André Aurengo.

Les effets des tests multiples

Autre point auquel le professeur Aurengo est sensible : veiller à ne pas orienter un résultat. Ce sont souvent le cas des tests multiples. Pour nous illustrer ses potentiels effets, notre invité revient sur une anecdote : « Un article humoristique avait enregistré dans un hôpital les causes pour lesquelles les personnes étaient entrées aux urgences de New-York. Ils avaient fait des tests pour savoir s’il y avait un lien entre les maladies et les signes du zodiaque… Ils en ont déduit que les Verseau étaient hospitalisés pour asthme et que les Lion avaient des crises d’épilepsies. Mais cela n’avait aucune valeur bien sûr : Pour chaque maladie il y avait 12 tests (pour les 12 signes du zodiaque) ». Il était donc normal que petit à petit s’établisse une répartition des troubles par signe zodiacal.
Dans le même registre, il n’est pas rare que suite à centaines de tests au cours d'une étude épidémiologique, on en vienne à créer des sous- groupes : « Nous n’avons rien vu sur la population, mais nous allons regarder ce qui se passe sur les gens qui ont les yeux bleus par exemple… Et de sous-groupes en sous-groupes, on réduit la taille des échantillons pour arriver presque toujours au final à obtenir un test positif ». Ainsi André Aurengo nous décrit-il le mécanisme d'une machine infernale.

Aujourd’hui, l’épidémiologique risque de dériver vers des résultats peu fiables, avec une multiplicité d’études contradictoires, se transformant en une « fausse science ».
Pourtant, l’épidémiologie a une place justifiée dans la prise de décisions en santé publique. « Pour cela, elle doit devenir une science réfutable. Savez-vous qu'actuellement les données ne sont pas publiées ? Les chercheurs considèrent en effet qu’elles sont leur propriété et conservent leurs données jalousement. C’est un tort, elles devraient être publiées après un délai raisonnable pour que d’autres puissent refaire les calculs » précise le professeur Aurengo.
Par ailleurs, l’épidémiologie aurait tendance à être utilisée dans un double statut avec l'évaluation du risque auquel on grefferait l’introduction des sciences humaines et l’analyse sociale du contexte dans le cadre d'une gestion du risque. « Attention », nous dit André Aurengo, « l’épidémiologie doit rester une technique d’évaluation du risque avec la froideur de la science. La gestion et l'exploitation des résultats obtenus sont un problème d’ordre politique, économique et médical » .

André Aurengo est professeur de biophysique à la faculté de médecine Pierre et Marie Curie. À la fois ingénieur et médecin, il dirige le service de médecine nucléaire du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière.
Il est membre de l’Académie nationale de médecine et du Haut Conseil de la santé publique depuis 2008.

En savoir plus :

- André Aurengo sur Canal Académie
- André Aurengo, membre de l'Académie nationale de médecine

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