Notice sur la vie et les travaux de Jean-Marie Zemb par Rémi Brague

séance solennelle de l’Académie des sciences morales et politiques du lundi 13 décembre 2010
Rémi BRAGUE
Avec Rémi BRAGUE
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Le philosophe Rémi Brague a prononcé l’éloge du philosophe et grammairien Jean-Marie Zemb devant les membres de l’Académie des sciences morales et politiques. Cette retransmission vous permettra d’entendre d’abord le président de l’année 2010, Jean Mesnard, recevoir et présenter officiellement Rémi Brague, puis ce dernier lire la "notice" qu’il a rédigée sur la vie, les travaux et la pensée du germaniste Jean-Marie Zemb, son prédécesseur dans la section philosophie.

Jean-Marie Zemb avait été élu le 11 janvier 1999 au fauteuil laissé vacant par le décès du Révérend Père Raymond Bruckberger. Quant à Rémi Brague, il a été élu le 7 décembre 2009. La séance se déroulait dans la grande salle des séances de l'Institut de France, le lundi 13 décembre 2010. Le président de l'année, Jean Mesnard, a commencé par souligner la pluridisciplinarité de l'Académie des sciences morales et politiques : "Sur les trois présentations de nouveaux élus auxquelles j'ai été convié à me livrer... se sont rencontrés successivement d'abord un historien (Georges-Henri Soutou), puis un médecin (André Vacheron) et maintenant un philosophe. J'ai éprouvé une grande satisfaction à constater cette pluridisciplinarité effective de notre compagnie...".

Puis, il a rappelé en quelles circonstances il avait été amené à rencontrer Rémi Brague pour la première fois : en 1975, à la veille du lancement de la revue Communio dont, Brague, jeune intellectuel chrétien, comptait parmi les membres fondateurs, aux côtés des RP. Bouyer, Daniélou et de Lubac.
Pour retracer les œuvres et la pensée de Rémi Brague, Jean Mesnard a choisi d'abord de donner quelques éléments tirés du livre Europe, voie romaine, livre qu'il considère comme le plus personnel du philosophe, et ensuite d'insister sur trois aspects qui, selon lui, caractérisent son style : un style de communication, un style d'autorité et le style de l'essai.

- Un style de communication

"L'important, souligne Jean Mesnard, lorsque vous écrivez, n'est pas d'abord la matière de ce que vous avez à dire, mais le lecteur -il vaudrait mieux dire l'interlocuteur" auquel vous ne cessez de vous adresser...".. Rémi Brague semble en effet préférer le dialogue au monologue. Ses ouvrages sont tous publiés en livres de poche, accessibles à vous, bien qu'on ne puisse pas dire que le philosophe soit un favori des médias... Sa démarche consiste toujours à saisir le passé en relation avec le présent, sans anachronismes. Avec le constant souci d'améliorer la perception du présent par le jeu des comparaisons, en soulignant les permanences ou les ruptures.

- Un style d'autorité

Rémi Brague ne se contente pas de communiquer un simple avis personnel. Il veut, et il le déclare expressément : mener à bien une quête de vérité : "Exigence capitale dans toute oeuvre de recherche mais ce qui vous distingue, c'est la domination qui s'affirme en vous sur votre savoir" poursuit Jean Mesnard. Brague n'est pas seulement penché sur la philosophie traditionnelle, bien au contraire, il élargit ses domaines de connaissances et de recherches à l'histoire, aux religions, à la linguistique, à l'interprétation des textes. Il est à la fois helléniste et médiéviste, attaché au monde méditerranéen et européen. La profondeur de son regard couvre à la fois l'analyse du détail et de vastes synthèses. Qu'on se réfère par exemple à sa thèse Aristote et la question du monde (publiée en 1998) ou à son livre La sagesse du monde (1999). Pour lui, les textes et les documents font autorité, certes, mais comme Jean Mesnard le souligne : "Le texte de vos oeuvres abonde en manifestations d'un souci scrupuleux de manifester votre dette et votre dépendance à l'égard de ces autorités garantes de la vôtre."

- Un style de l'essai

Autre trait du style de Rémi Brague souligné par Jean Mesnard : l'essai, qui, chez Brague, reste bien sûr dans le domaine des idées mais avec une liberté toute nouvelle qui n'empêche nullement l'érudition la plus rigoureuse. Car le philosophe n'hésite pas à parler de lui, et avec humour, à raconter son cheminement, comment à partir de l'étude de la philosophie grecque, il en est venu à l'étude du Moyen-Age, puis à celle des Arabes et des Juifs. Car l'essai autorise la fantaisie et cet humour qui génère la modestie sans éviter la gravité des sujets.

En conclusion Jean Mesnard n'a pas manqué de souligner quelques traits de ressemblance entre Rémi Brague et son prédécesseur Jean-Marie Zemb : "En tous les deux se réalise une association étroite de la philosophie et de la linguistique, complétée par un grand amour des langues. Puis une connaissance approfondie de la langue et de la culture allemandes... "

NOTICE CONSACREE A JEAN MARIE ZEMB

Et comme il est d'usage, à son tour, Rémi Brague a retracé la vie et l'oeuvre de son précédesseur, en lisant la "notice" qu'il lui consacre (terme consacré qui cache tout de même un discours d'une heure et d'une trentaine de pages).

Il reconnaît d'emblée "les affinités électives" manifestes qui le rapproche de J.M. Zemb : l'amour de la philosophie grecque et celui de la langue allemande. Car Zemb, né le 14 juillet 1928 à Erstein, ville au sud de Strasbourg, appartient à cette génération prise entre deux cultures et deux Etats. Chez lui, on parlait un dialecte alsacien de la famille alémanique ; Zemb se décrivait lui-même comme "un Alsacien de langue maternelle française" et cet accent prononcé de sa région, il le garda toute sa vie, tant en parlant le français qu'en parlant l'allemand... Rémi Brague retrace en détails le cheminement de Jean-Marie Zemb, ses études, son enrôlement (contre son gré on s'en doute) dans la DCA de la Wehrmarcht à Kehl, son évasion et la Libération (Zemb était décoré de la Médaille des Réfractaires). Puis la poursuite de ses études en philosophie en France et en Allemagne, ses débuts dans la carrière de professeur et ses premières publications (sur Aristote, Thomas d'Acquin, Spinoza). Rémi Brague ne manque pas de souligner que le petit livre de Zemb sur Aristote, rédigé en allemand, publié pour la première fois en 1961, a été seize fois réédité et même traduit en japonais, en grec, en coréen... et enfin en français !

Jean-Marie Zemb, de l’Académie des sciences morales et politiques

Sans abandonner jamais son intérêt pour la philosophie, Jean-Marie Zemb s'orienta néanmoins vers la grammaire et la linguistique, tout en produisant, sous la signature à peine modifiée de Marc Zemb, bon nombre de traductions. "Cette activité de traduction n'est pas quelque chose d'extérieur par rapport aux préoccupations du linguiste. En effet, elle n'oblige pas seulement, ce qui est très évident, à acquérir une connaissance approfondie de la langue de départ et de la dextérité dans le maniement de la langue d'arrivée. La pratique de la traductioj implique aussi de se poser la question du rapport entre langue et pensée... " C'est l'un des apports intellectuels de Jean-Marie Zemb que cette réflexion sur les rapports entre la pensée et la langue" (qu'il distinguait d'ailleurs du langage...sujet qui fut le sujet de sa grande thèse " les structures logiques de la proposition allemande : contribution à l'étude des rapports entre la langue et la pensée").
Cette notice établie par Rémi Brague fourmille de bien d'autres détails sur les nombreuses distinctions qui ont couronné la carrière de Jean-Marie Zemb dont les activités furent incessantes, notamment par ses cours : il fut élu en 1985 professeur au Collège de France où il enseigna durant treize années tenant la chaire "Grammaire et pensée allemandes".

En conclusion de cette biographie, Rémi Brague rappelle que Jean-Marie Zemb est mort à Lorient le 15 février 2007, qu'il venait d'échever son dernier ouvrage et, avec émotion, il a repris les dernières paroles du mourant : l'une en allemand "Alles ist fraglich ; Gott ist evident" et l'autre en français : "Je quitte l'ombre pour la lumière".

Dans une seconde partie, Rémi Brague, se plongeant dans les oeuvres de Jean-Marie Zemb, qu'il qualifie "d'homme source" et il pénètre en profondeur sa pensée et son oeuvre qui, toute sa vie, aura travaillé à la question "comment chercher l'universel qui s'incarne dans chaque langue ?". Renvoyons les auditeurs et lecteurs intéressés, à la retransmission sonore de ce discours, dans cette émission et à l'intégralité du texte sur le site de l'Académie www.asmp.fr

Brève biographie de J.M. Zemb :

Après des études secondaires à Strabourg et avoir été réfractaire en 1944, Jean-Marie Zemb a fait des études de philosophie en France et en Allemagne puis a été chargé d’enseignement à l'Université de Hambourg en République Fédérale d’Allemagne de 1956 à 1961. Ayant obtenu l’agrégation d’allemand, il enseigne aux lycées Carnot et Paul Valéry de Paris de 1961 à 1966. A partir de 1966, il est chargé d’enseignement à la FLSH de Besançon de 1966. Devenu docteur ès-Lettres à la Sorbonne le 18 juin 1968, il occupe tour à tour les chaires de linguistique allemande des Universités de Paris-VIII, Paris-III et Paris-X entre 1968 et 1986. Enfin, il a été porfesseur titulaire de la Chaire de Grammaire et de pensée allemandes au Collège de France de 1986 à 1998.

http://www.asmp.fr/fiches_academiciens/brague.htm

A écouter aussi avec Rémi Brague, nos émissions :

- Rémi Brague, membre de l’Académie des sciences morales et poitiques, le philosophe qui prend au sérieux le « fait religieux »
- Rémi Brague : Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres

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