Futurs médecins : réformer leur enseignement, une nécessité !

avec Guy Vallancien et Bernard Charpentier, correspondants de l’Académie nationale de médecine

Échec en première année de médecine, difficulté à rebondir sur d’autres filières, besoin de créer des métiers intermédiaires entre celui de médecin et d’infirmière … Voilà le constat que dressent les professeurs Guy Vallancien et Bernard Charpentier chacun avec un regard différent. Quels seraient les changements à mettre en œuvre pour éviter que l’exercice de la médecine ne se grippe dans les dix ans à venir ? Réponses du professeur en urologie et de l’ancien doyen de la faculté de médecine.

_ Chaque année, on compte quelque 60 000 étudiants en première année de médecine et de pharmacie avec un taux d’échec impressionnant : 80% pour la médecine, 70% pour la pharmacie.
Ce taux d'échec devrait chuter avec la réforme de la première année de médecine entrée en vigueur en 2010. Rappelons que cette réforme consiste en une première année commune aux études de santé pour quatre filières : médecine, odontologie, pharmacie et sage-femme [[Cette mise en place d'une année commune de médecine pour les quatre filières émane d'une proposition de Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, lors de son rapport sur l’enseignement de la médecine, remis au début de l’année 2008]].

Pour Bernard Charpentier, « cette mesure permet de faire en sorte que les collés ne se retrouvent pas sans rien, d’avoir un équivalent L1 santé avec la possibilité de s’orienter vers une autre discipline sans avoir perdu son temps ».
Benard Charpentier est homme du service public, il a été doyen de la faculté de médecine Paris-Sud pendant 20 ans. Guy Vallancien exerce dans le privé. Mais tous les deux partagent le même avis : il est urgent de réformer l’enseignement même de la médecine.

Ouvrir la médecine à toutes les sections du bac et prévenir les futurs étudiants en médecine de ce qui les attend

C’est un fait qui demeure ancré dans notre culture française, mais qui l’est moins dans les pays anglo-saxons : seul un bac S permet de faire médecine. « Je ne comprends pas : Il n’y a aucune raison de fermer la porte à des jeunes sortant d’autres filière que scientifique quand ils ont le bagage intellectuel. Cette sélection là est injuste » affirme Bernard Charpentier. Guy Vallancien témoigne pour sa part :« Je suis un rescapé du système parce que j’ai fait un bac philo. Aujourd’hui, je suis chirurgien urologue. Je suis certain qu’un chirurgien peut venir d’un bac technique. Il y a une hyper sélection par les sciences dures mais on oublie complètement la partie humaniste, la communication avec le patient qui est si importante ».

« Être médecin, c’est s’occuper du pue, du sang et de la mort » lance Bernard Charpentier. Il faut avoir un certain bagage intellectuel mais aussi psychologique pour supporter le métier. Guy Vallancien souhaiterait que soit mise en place des prépas santé dans les lycées pour expliquer aux lycéens la réalité du métier de médecin.

La réforme de l’enseignement : stopper la sélection sur concours, introduire des oraux

Une fois inscrit à la faculté de médecine, le chemin de l’étudiant est le suivant : sélection par un concours en première année, formation pendant 5 ans et orientation vers une spécialité pendant 2 ou 3 ans. « Or, c’est l’inverse que nous devrions faire » explique l’ancien doyen de la faculté de médecine B. Charpentier : « Dans le système anglo-saxon, il y a formation au métier de médecin, puis orientation vers une spécialité et enfin sélection par concours ». Avec notre système actuel en France, tout est joué à l’âge de 20 ans.

Outre ce cheminement à repenser, il serait important d’introduire des modules communication pour apprendre à s’exprimer face à un patient.
« Un bon médecin est un médecin bon sur le plan technique et relationnel » assure Guy Vallancien. « En ce qui concerne mes étudiants, j’ai pris le parti de jouer le patient et de faire filmer les séquences. C’est saisissant ! Ils regardent leurs pieds pour annoncer une tumeur maligne, parlent de petite biopsie pour chercher un petit cancer. Il y a des choses qui s’apprennent, et annoncer à un malade qu’il a peu d’espoir, ça s’apprend ».
« Et puis c’est à l’oral que l’on voit si un étudiant sera apte psychologiquement à pratiquer la médecine. Nous en voyons quelques uns qui une fois leur diplôme en poche ne peuvent pratiquer nulle part » raconte Bernard Charpentier

Médecin : un métier en évolution constante avec la société

Les étudiants en médecine font leurs stages en CHU, à l’hôpital général. « Du coup ils deviennent pointus sur des cas très complexes, mais une fois installés comme médecins généralistes, ils sont perdus. La pratique quotidienne dans un cabinet libéral n’a rien à voir avec l’hôpital » assure Guy Vallancien.
Ils prônent des stages plus tôt dans le cursus avec des sessions dans les cabinets de médecine générale.

Surtout, Bernard Charpentier prône des évaluations tout au long de l’année plutôt que des concours arbitraires. « Refuser de prendre un élève au dixième de point, c’est incompréhensible ». Et Guy Vallancien d’ajouter : « les étudiants ont une telle pression en dernière année qu’on leur donne le droit de ne pas aller en stage pour pouvoir bachoter, alors que le stage est tout aussi important ».

Et une fois le diplôme en poche ? « Les études ne sont pas finies ! Pour moi, faire médecine ce n’est pas 6 ans d’études et 3 années d’internat. Faire médecine c'est mettre à jour ses connaissances tout au long de sa carrière » précise Bernard Charpentier. « On voit des chirurgiens qui ont des pratiques d’il y a 40 ans… » lâche en suspens Guy Vallancien.

Bernard Charpentier

- Bernard Charpentier est chef de service de néphrologie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bicêtre, directeur de l’unité Inserm "greffes d’épithéliums et régulation de l’activité lymphocytaire" et ancien doyen de la faculté de médecine Paris-Sud, fonction exercée pendant 20 ans.
Il est correspondant de l’Académie nationale de médecine.

Guy Vallancien

- Guy Vallancien est urologue, professeur à l’Université Paris Descartes, membre de l’Académie nationale de chirurgie, correspondant de l’Académie nationale de médecine et secrétaire général du Conseil national de la chirurgie.

En savoir plus :

Académie nationale de médecine

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