L’Essentiel avec... Nicole Le Douarin, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences

Jacques Paugam pose ses questions essentielles à la célèbre embryologiste.
Avec Jacques Paugam
journaliste

Nicole Le Douarin s’est attirée une incontestable reconnaissance internationale par son travail sur les cellules embryonnaires. Sortir des sentiers battus, c’est le leitmotiv de ce grand nom de la biologie française qui fut, pendant cinq ans, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : hab590
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1 - Dans votre itinéraire, votre carrière, quel a été à vos yeux le moment essentiel ?

« La plus grande partie de ma vie professionnelle s’est déroulée dans la recherche scientifique, mais je l’ai commencée comme professeur de lycée ; au bout d’un certain nombre d’années je me suis rendue compte que j’avais envie de faire autre chose, de revenir à l’université et de reprendre contact avec la science telle qu’elle se faisait. L’important pour un professeur, c’est d’enseigner des données bien établies et de bien les communiquer, mais on s’éloigne de la science avec toutes ses incertitudes, ses questions, ses espoirs, tout ce qui est fascinant dans la recherche scientifique. »

À 28 ans, alors qu’elle a quitté l’université depuis des années et qu’elle a métier, mari et enfants, Nicole Le Douarin décide de changer de vie. Les portes se ferment d’abord : on lui dit qu’il faut se contenter de ce qu’elle a, qu’elle n’a pas besoin de la recherche. C’est, introduite par une amie, qu’elle rentre finalement en laboratoire ; la vocation s’éveille très vite.

Nicole Le Douarin se spécialise dans l’embryologie ; elle ne le sait pas encore, mais elle va révolutionner son domaine d’application. Innover, sortir des sentiers battus, remettre perpétuellement en cause les connaissances acquises, tels sont les principes de la future académicienne. Et c’est grâce à l’idée apparemment saugrenue de croiser des cailles et des poulets qu’elle va, en 1969, contribuer à une avancée majeure dans la compréhension du développement cellulaire.

Par chance, un généticien de sa connaissance avait en effet la main sur un stock de cailles considérable, car il menait des expériences pour démontrer, à l’encontre des théories nazies, que les hybrides avaient plus de vigueur et de moyens de défense que les races pures. Nicole Le Douarin remarque alors que les cellules de cailles sont dotées d’un marqueur génétique stable et qu’il est possible de suivre leur développement en créant des chimères, c’est-à-dire des animaux possédant des génotypes distincts ; c’est ainsi que vont apparaître dans son laboratoire ses fameux poulets à ailes de caille.
L’ADN n’étant plus une boîte noire, Nicole Le Douarin va ensuite s’attacher à l’appliquer dans d’autres domaines, et est notamment à l’origine d’un bond en avant dans l’étude de la crête neuronale.

2 - Dans le domaine d’activité qui est le vôtre, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

Allégorie de la Science, par Jules Blanchard, située sur le parvis de l’Hôtel de Ville à Paris.

Sur les sciences :
« Les sciences sont une des grandes manifestations de l’homme, de sa sagacité, de son intelligence, de ses capacités d’apprentissage et de communication. C’est à mon avis la manifestation la plus spectaculaire du cerveau humain. »

Sur la biologie :
« Jusqu’au siècle dernier la biologie était restée une science d’observation et les secrets de la manière dont fonctionnent les organismes étaient restés très élusifs. La biologie a vraiment démarré le jour où on a compris pourquoi un chat avait un chat pour descendance, c’est-à-dire en quoi consiste le patrimoine génétique et comment il contrôle le développement d’un œuf. »

Sur les débats bioéthiques :
"Je crois qu’il faut faire confiance aux chercheurs, et en même temps les contrôler et surtout contrôler l’usage des découvertes. »
Nicole Le Douarin dénonce l’hypocrisie qui entoure la controverse sur les cellules-souches : ce que l’on oublie de dire, selon elle, c’est que les embryons surnuméraires sont légalement détruits au bout de cinq ans de conservation ; ne vaut-il donc pas mieux pour les parents en faire don à la science ? D’autre part, le stérilet est une méthode contraceptive qui tue les embryons au stade précis où on les utilise dans la recherche pour les cellules-souches : faut-il interdire le stérilet pour autant ?

3 - Dans notre société aujourd’hui, qu’est-ce qui vous paraît essentiel à dire ?

Sur le mouvement écologiste :
« La prise de conscience par l’humanité qu’elle ne peut pas ne songer qu’à son bien-être et utiliser les ressources sans compter, c’est quelque chose d’important. »

Sur l’explosion démographique :
« C’est très inquiétant, d’autant plus que la distribution des ressources est de plus en plus injuste, et que les grandes fortunes sont entre les mains d’un petit nombre de gens, pratiquement sans intermédiaire entre les grands possesseurs des ressources humaines et une immense masse dans un état de dénuement désespérant. »

4 - La plus grande hypocrisie de notre temps ?

« L’idée que le marché se régule seul, qu’il faut le laisser faire, que tout va s’arranger, est une erreur funeste et une hypocrisie terrible que développent un certain nombre de gens qui sont ceux qui en profitent le plus. »
« La crise a été une démonstration, c’est bien dommage qu’on ait été obligé d’attendre un cataclysme pour s’en rendre compte ; je ne sais pas si les choses vont changer beaucoup. »

5 - L’événement ou la tendance de ces dernières années qui vous laisse le plus d’espoir ?

« J’ai tendance à faire confiance à l’espèce humaine. Elle est apparue il n’y a pas longtemps sous la forme de quelques individus en Afrique, et quand on se rend compte du chemin accompli, c’est-à-dire de la colonisation totale de la planète, je me dis qu’il y a quand même des ressources fantastiques chez l’homme. Même si l’on voit des choses terribles, une grande cruauté, un désintérêt pour l’autre, un égoïsme ravageur, je crois qu’il y a aussi dans l’espèce humaine des capacités de solidarité, d’intérêt pour l’autre, de sacrifice qui sont grandes. »

Sur les inondations de juin 2010 dans le Var :
« On voit que des gens qui ne se parlaient pas beaucoup, qui ne se connaissaient pas, tout à coup, dans le malheur et la catastrophe, deviennent solidaires, se mettent à aider leurs voisins. »

6 - Quel a été le plus grand échec de votre vie et comment avez-vous tenté de le surmonter ?

Une biologiste peut-elle vraiment considérer la mort comme un échec ? Nicole Le Douarin avait écrit ces mots il y a quelques années : « La mort des cellules joue un rôle aussi important que leur prolifération dans la construction du vivant ; la mort des cellules est un procédé aussi naturel, aussi courant et aussi crucial pour le développement et la survie des organismes que l’est la vie même des cellules et leur prolifération. »

Structure de la molécule d’ADN

Sur l’inanité du clonage à but reproductif :
« Ce qui est merveilleux dans la reproduction sexuée, c’est qu’elle fournit la diversité, c’est qu’il y a des recombinaisons génétiques qui se produisent au moment de la formation des gamètes, ce qui rend absolument imprévisibles les caractéristiques génétiques de l’individu qui va être conçu. Par conséquent il y a une variété, une nouveauté, une adaptabilité des gens et des êtres grâce à la diversité génétique. C’est ce qui fait la force de la vie. »

7 - Aujourd’hui, quelle est votre motivation essentielle dans la vie ?

« Ma motivation, c’est d’utiliser les forces et le temps qui me restent pour montrer aux gens à quel point la science est une chose formidable, et essayer de communiquer le plus et le mieux possible ce que je sais de ses potentialités et de sa beauté. »

Médaille d’or du CNRS, Grand officier de l’ordre de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’Ordre du mérite, Commandeur de l’ordre des palmes académiques, docteur honoris causa de cinq des plus grandes universités du monde, membre de trois académies, la liste exhaustive des honneurs de Nicole Le Douarin serait trop longue à effectuer.
N’y manque en fait que le prix Nobel, pour lequel elle a sérieusement été pressentie, mais qu’elle n’a jamais décroché. Pas de regret : juste de l’épanouissement. « Je suis contente quand quelque chose arrive, mais je ne vais pas souffrir quand ce n’est pas le cas ! Ma vie est bien comme ça… »

En savoir plus :

- Nicole Le Douarin sur le site de l'Académie des sciences
- Éclaircissements sur l'embryologie (cours d'embryologie à destination des étudiants en médecine)
- Site de l'Académie des sciences
- Site du Collège de France

Des chimères, des clones et des gènes, éditions Odile Jacob, 2000

Écouter aussi sur Canal Académie :

Les cellules souches porteuses d’immortalité

Nicole Le Douarin : Des chimères à l’utilisation des cellules-souches

À noter la sortie d'un ouvrage en l'honneur de la biologiste, Mots de science, Mélanges en l'honneur de Nicole M. Le Douarin, aux éditions Bruylandt, ensemble de textes collectés par Catherine Puigelier.

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