André Vauchez : l’Ordre des Célestins et le duc Louis II de Bourbon

À l’occasion de la commémoration de la mort, en 1410, de Louis II de Bourbon, oncle de Charles VI
Avec Hélène Renard
journaliste

L’historien médiéviste André Vauchez, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, rappelle ici l’historique des Célestins, un Ordre religieux disparu, à l’occasion de la commémoration du 600e anniversaire du « Bon Duc » Louis II de Bourbon, mort en 1410. Quand l’histoire d’un Ordre et celle d’un Duc rencontrent la grande Histoire de France...

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : hist608
Télécharger l’émission (34.7 Mo)

La tendance bien française à commémorer événements et personnages historiques, nous autorise à évoquer, en cette année 2010, le 600e anniversaire de la mort du Duc Louis II de Bourbon. En 1410, en effet, mourait l'oncle maternel du roi de France Charles VI, ce pauvre roi atteint de crises de folie, époux d'Isabeau de Bavière. Cet oncle-là, contrairement aux autres « oncles » qui gouvernèrent le royaume durant cette triste période, fut l’un de plus fidèles et des meilleurs conseillers du roi.

Charles VI

Ce « bon duc Louys » comme on le surnommait, soutenait, dans son duché, un Ordre religieux particulier, l’Ordre des Célestins, qui s’était implanté notamment à Vichy, au cœur du Bourbonnais. Cet Ordre, disparu sous la Révolution et non recréé, est aujourd'hui oublié et même méconnu. Cependant, à Vichy, à Lyon, à Paris, et dans bien d'autres villes en France, on rencontre souvent, un quai, une avenue, un théâtre portant le nom des Célestins. Qui saurait dire ce que fut cet Ordre, mieux que l'éminent spécialiste des ordres religieux qu'est André Vauchez ? Il a d'ailleurs été invité au début de l'année 2010 à présenter les Célestins devant les Vichyssois car à Vichy, la source des Célestins et ses pastilles reste fameuse !

Un saint homme à l'origine de l'Ordre des Célestins

À l'origine de cet Ordre, un ermite italien qui vivait dans les Abruzzes, Pierre de Morone (de Moron en français 1215-1296). Sans doute serait-il resté un obscur personnage religieux s'il n'était devenu pape en 1294 (et seulement pendant 6 mois) sous le nom de Célestin V. Vivre jusqu'à l'âge de 81 ans n'était, à l'époque, pas si fréquent. Il vivait dans ce massif montagneux retiré dans une grotte, mais sa ferveur austère attira une petite communauté de frères que l'on va appeler les Frères du Saint-Esprit. D'abord locale, cette congrégation fut approuvée par le pape Urbain IV en 1263. Ils furent rattachés à l'ordre des Bénédictins, avec des coutumes particulières liées à l'érémitisme (ascétisme alimentaire, discipline) et ils vivaient en petits groupes d'une dizaine, dans des lieux solitaires. Ils accordaient une grande place à la pauvreté, et se tenaient très proches de la population paysanne. Pierre de Morone eut bientôt la réputation de faire des miracles de guérison. En 1294, on comptait 35 monastères uniquement en Italie du Sud. Mais, lorsque Pierre de Morone est élu pape (5 juillet 1294), la situation change. Pourquoi lui ? Au Conclave réuni pour l'élection, deux partis s'étaient affrontés et comme il fallait obtenir les deux tiers des voix, aucun des candidats ne l'avait emporté. Au bout d'un an et demi de tractations, le peuple chrétien exigea une décision : les cardinaux trouvèrent un compromis en allant chercher un saint homme déjà âgé ! Pierre n'avait aucune expérience administrative mais il donnera une assise plus stable à son ordre dont les frères vont s'appeler « Les pauvres ermites du pape Célestin », appellation abrégée en « Célestins ». Pierre règne six mois car il est le seul pape de l'histoire qui ait démissionné. La Curie le trouvait à la fois trop généreux et maladroit politiquement, et elle fit pression pour qu'il se retire. Il a été remplacé par le pape Boniface VIII, grand ennemi de Philippe le Bel.

La canonisation du pape Célestin, également un geste politique

Philippe IV le Bel

On sait les conflits entre le roi de France et le pape, et André Vauchez les rappelle ici brièvement : Boniface fait enfermer son prédécesseur dans son château, craignant la popularité du pauvre pape Célestin. Et survient l'attentat d'Agnani, durant lequel, mandaté par le roi de France, Nogaret s'empare de Boniface, le fait prisonnier, l'empêcheant ainsi d'excommunier le souverain français. Boniface mourra peu après. Philippe le Bel, pour faire condamner à titre posthume ce pape, fait pression sur le Concile réuni à Vienne à partir de 1306 pour que Célestin V, qui passe pour une victime de Boniface, soit canonisé. Le pape (Clément V) et le Concile ont fini par obtempérer et c'est ainsi que Pierre de Morone est devenu Saint-Célestin V (il y a d'ailleurs fort peu de papes déclarés saints, surtout au Moyen-Age). La canonisation rend officiel le culte envers ce saint dans toutes les églises de la chrétienté.

L'Ordre s'implante en France

Deuxième acte de Philippe le Bel : il introduit en France, et il protège, des monastères de Célestins. D'abord modestement près d'Orléans puis peu à peu s'implanteront 17 monastères jusqu'à la fin du Moyen-âge (notamment en forêts d’Orléans et de Compiègne, en Avignon, à Lyon, à Vichy). À partir de Charles V, qui poursuit le soutien aux Célestins, ceux-ci nouent un lien fort avec la monarchie française. Le couvent de Paris, fondé par un bourgeois en 1352, devient couvent royal à partir de 1370. L'Ordre se diffuse dans les grandes villes. Ce petit ordre d'ermites est donc devenu un Ordre spécialement protégé par les Capétiens. Sa grande époque de rayonnement a été le XIVe et le XVe siècles. C'est dans cette perspective que s'inscrit la création du couvent à Vichy en 1410.

Pourquoi Vichy en bourbonnais ? Le choix du Duc Louis II

Blason du duc de Bourbon

Vichy, c'est le premier pont sur l'Allier, venant de Paris, petite ville mais lieu stratégique important. Les Ducs de Bourbon en avaient fait un castel puissant autour duquel s'était développé un bourg. Le Duc Louis II implante à partir de 1403 les Célestins à Vichy. Le bourbonnais, en effet, avait été érigé en duché et était en train de devenir une véritable principauté territoriale. André Vauchez rappelle que les ducs de Bourbon descendaient du sixième fils de Saint-Louis. Pendant la Guerre de Cent Ans et la folie de Charles VI, Louis II est demeuré un très loyal soutien au roi de France. Il est donc devenu un personnage important dans la monarchie française. Louis II, qui a régné une cinquantaine d'années, agrandit son duché en y ajoutant l'Auvergne (il avait épousé Anne Dauphine d'Auvergne), le Charolais, et a fini par constituer un duché de grande importance où les villes vont se développer (Moulins entre autres) et où des monastères vont s'implanter car le Duc pensait autant à son duché qu'à son propre salut. Louis II, dont le père Pierre Ier de Bourbon avait été tué à la bataille de Crécy, a été, après la désastreuse paix de Brétigny de 1360 - importante étape de la Guerre de Cent Ans - envoyé comme otage en Angleterre pendant six ans. Il n'a pu revenir que lorsque la totalité de sa rançon a été versée. Il a été de ceux qui, avec Du Guesclin et Charles V, ont refoulé peu à peu, après de longs combats, les Anglais jusqu'en Guyenne.

Louis II enterré à Souvigny

Que font ces moines ? Au XIVe siècle, ils sont devenus plus « classiques », ne vivent plus en ermites, mais comme des Bénédictins accordant une grande place à la prière et menant une existence ascétique. Et André Vauchez explique : « On avait cette conviction au Moyen-âge que plus les religieux se comportaient de façon austère, plus leurs prières avaient de "poids" auprès de Dieu ». Un personnage a joué un rôle important : Philippe de Mézières. Originaire de Reims, au service de la monarchie, parti pour la Terre Sainte, Chancelier du royaume de Chypre, puis revenu en France vers 1370, devenu conseiller en affaires religieux du roi Charles V. Quand les « oncles » de Charles VI prennent le pouvoir, il se retire chez les Célestins de Paris pour mener une vie de méditation et de prière, et en même temps, il écrit plusieurs œuvres, dont Le Songe du vieil pèlerin (texte important pour la chevalerie du XIVe siècle). Mezières, très lié à la branche des Orléans, a joué un rôle pour que le Couvent des Célestins de Paris devienne le « panthéon » dynastique des Ducs d'Orléans, qui se font enterrer là. C'est sur ce modèle que Louis II de Bourbon demande qu'on lui construise un logis dans le monastère des Célestins de Vichy. Il veut s'y retirer au moment de sa mort (on ne sait pas s'il a pu le faire, il meurt avant que le couvent ne soit terminé). Cependant, il est enterré à Souvigny, abbaye clunisienne près de Moulins (qui contient aussi les restes de Pierre II de Beaujeu et son épouse Anne de France).

Au moment du Grand Schisme, la province de France des Célestins avait reconnu le pape d'Avignon (alors que celle d'Italie avait opté pour le pape de Rome). Cette province française, devenue quasi-autonome, va même implanter des couvents en Italie en mettant la main sur le berceau de l'Ordre !

À partir du XVIe siècle, on voit se reproduire la même histoire avec Louis XI, homme angoissé par la peur de mourir, qui fait venir un autre ermite, Saint-François de Paule, qui n'était pas célestin mais avait fondé une congrégation du même style.
Son fils Charles VIII supplie François de Paule de rester en France et fonde un nouvel Ordre religieux : les Minimes. Il va devenir l'Ordre royal par excellence, jusqu'à Louis XIV. Il s'implantera largement : on comptera jusqu'à 150 couvents avant la Révolution. Ils survivront (ils existent toujours en Italie, à Paola en Calabre). Tandis que l'Ordre des Célestins verra son déclin et sa suppression définitive en 1778.

André Vauchez conclut cette émission en évoquant la survie de certains Ordres, sous la Révolution (qui supprime tous les Ordres religieux), Napoléon, puis un mouvement de récréation au XIXe siècle (par exemple les Dominicains avec Lacordaire, ou les Bénédictins avec Dom Géranger).

Notes et repères historiques

La baronnie de Bourbon est érigée en duché pairie par Charles IV le Bel en faveur du fils aîné de Béatrix et de Robert, qui prend le nom de Louis Ier duc de Bourbon (1280-1342) ; il est le petit-fils de Saint-Louis.

Son fils, Pierre Ier (1310-1356), épouse Isabelle de Valois, sœur du roi de France dont il a huit enfants, et est tué au siège de Poitiers en protégeant le roi Jean Le Bon.
Son autre fils, Jacques, comte de la Marche, est à l’origine de la branche de Henri IV.

Le fils de Pierre, Louis II de Bourbon (1337-1410), « le bon duc Louys », compagnon de Du Guesclin, fut livré en otage au roi d’Angleterre (après le traité de Bretigny en 1360). Il épousa Anne, dauphine d’Auvergne, comtesse de Clermont et de forez. Il créa l’ordre de chevalerie, l’Ordre de l’Escu d’or, avec l’inscription Allen. Il fit partie du gouvernement des oncles, puisque Charles VI en 1380 n’avait que douze ans. Il mourut le 19 août 1410.

À écouter aussi :

Avec Philippe Contamine, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres Un authentique chevalier du XIVe : Philippe de Mézières

D'autres émissions avec André Vauchez :
- Le rayonnement spirituel de l’Europe du Moyen Âge
- François d’Assise : une vie sainte par André Vauchez
- L’université médiévale vue d’aujourd’hui

André Vauchez, membre de l’Institut

En fin d'émission, André Vauchez présente le Dictionnaire des temps, des lieux et des figures, qui a été publié en février 2010 aux éditions du Seuil. Il explique comment il a conçu ce dictionnaire original en soulignant son utilité.

Cela peut vous intéresser