L’oreille aux aguets : paralysie, risque et évaluation

La chronique qui prend les mots à rebrousse-plume, animée par Jeanne Bordeau et Olivier Desarthe
Avec Oliver Desarthe
journaliste

Voici passés au crible les mots « paralysie », « risque » et « évaluation » dans cette nouvelle petite conversation autour de la langue avec Jeanne Bordeau, de l’Institut de la qualité de l’expression et Olivier Desarthe, journaliste diplômé en didactique des langues. Preuve qu’il existe des expressions dont on use et parfois on abuse !

Émission proposée par : Oliver Desarthe
Référence : mots572
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« L'évaluation des risques a entraîné la paralysie du trafic aérien. » Derrière cette phrase anodine se cachent trois tics de langage de notre époque, que Jeanne Bordeau et Olivier Desarthe décèlent pour nous dans cette nouvelle émission de « L'oreille aux aguets ».

Un terminal de l’aéroport de Roissy

Paralysie à l'aéroport

Pour évoquer la récente immobilisation des avions au sol par l'éruption d'un volcan islandais, un terme a en effet retenu les faveurs des journalistes : celui de paralysie, typique d'un vocabulaire journalistique qui puise volontiers dans l'univers de la santé pour décrire les crises et les tensions les plus diverses.

Et même si par ailleurs les vocables employés dans les colonnes des journaux ont été relativement neutres (« Arrêt », « Blocage »), il est symptomatique de voir que les questions climatiques nous font nous réfugier dans ce genre de métaphores ; le malaise n'en est en effet que mieux entretenu.

Les risques de ne pas en prendre

Une évolution langagière de notre époque a fait progressivement glisser le mot risque comme un synonyme d'« incertitude », alors que précisément le risque peut être analysé, soupesé, et pris en connaissance de cause.
Pris en compte par la Charte de l'environnement, rentré dans la loi française par le biais du Principe de précaution, le risque est devenu notre mode de vie et l'utilisation de ce terme participe à exacerber l'irrationnel et les émotions ; on ne l'a que trop vu lors des récents débats sur les ondes, les OGM, le climat, etc.

De fait, nous vivons dans un état perpétuel de crise larvée, volons de risque en risque et l'acception méliorative de ce terme, c'est-à-dire l'audace de tenter, d'entreprendre, semble être passée à l'arrière-plan dans une société plus timorée.

Évaluer l'évaluation

Un autre mot un peu trop commode - et un peu trop utilisé - est le terme évaluation. Un terme issu du vocabulaire de l'économie, qui est devenu un monde commun dans lequel nous nous retrouvons tous en tant que travailleurs et producteurs ; il est d'ailleurs lié, par son étymologie, au mot « valeur ».

Évaluation est un terme bien pratique car on peut le comprendre comme on veut : l'évaluation fait appel à la subjectivité, elle est donc une appréciation imprécise par nature ; mais évaluer est aussi bien souvent synonyme d'expertiser, de mesurer, de chiffrer, dans un monde où tout est évalué - sauf les évaluations...

Si un mot tintinnabule, si vous voulez agrémenter cet échange qui prend l’époque à « rebrousse-plume », n’hésitez pas à nous joindre.

Écoutez également les autres émissions de cette chronique:
Oliver Desarthe

L'Institut de la qualité de l'expression : http://www.institut-expression.com/ ou sur son blog http://blog.institut- expression.com

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Découvrez ci-dessous quelques œuvres de Jeanne Bordeau qui, en « lexico-picturaliste », réalise et expose des « tableaux de mots » (collages, encre, papier sur carton) qui lui permettent d'observer et de « coaguler » l'actualité (CLIQUEZ pour agrandir).

De haut en bas :
Communication 2009 - Les Puces savantes ;

Société 2009 - Métamorphose ;

Langage 2010 - L'œil des mots .

Jeanne Bordeau est l'auteur du livre "Entreprises et marques Les nouveaux codes de langage" paru en septembre 2010 aux éditions Eyrolles.

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