Théologie et philosophie à jamais séparées ? Leur relation dans l’histoire intellectuelle de l’Europe

Entretien avec Philippe Capelle-Dumont maître d’œuvre d’une Anthologie en quatre tomes « philosophie et théologie »
Avec Damien Le Guay
journaliste

Théologie et philosophie sont-elles deux disciplines complémentaires ou à jamais séparées ? Le doyen Philippe Capelle-Dumont redéfinit ces deux expériences de pensées, rappelle les données historiques et analyse les nouvelles donnes qui surgissent aujourd’hui.

Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag706
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La théologie semble, en Europe, avoir dominé la philosophie pendant longtemps puis, avec la modernité, la philosophie s’est émancipée de cette tutelle pour accéder à une situation propre, singulière, autonome. Cette situation semble nous avoir conduit à un oubli de la théologie dans le champs de la philosophie – voire à un mépris.

Différentes questions se posent face à cette situation : comment la philosophie s’est-elle séparée de la théologie ? Aujourd’hui, qu’avons-nous a apprendre de la théologie sans pour autant « tomber » dans le champs de la religion ? Peut-il y avoir (et comment ?) fécondation réciproques entre ces deux domaines – conçus comme des domaines séparés, complémentaires ou concurrents ? Faut-il considérer, comme le dit Emmanuel Levinas, que l’histoire de la philosophie en Occident a été une histoire de la « destruction de la transcendance », un abandon du souci de l’infini au profit d’un désir de totalité ?

Considérons la théologie comme ce que nous pouvons dire de Dieu, du divin et de l’au-delà ; et la philosophie comme un champs de connaissance qui fait l’expérience de la raison et s’appuie sur elle pour penser le monde et l’homme. Ces deux « expériences de pensées » sont désormais séparées ce qui conduit à une ignorance profonde de l’inspiration religieuse de la philosophie et, sans doute, à la limitation de la « culture ».

Or, nous dit Philippe Capelle, notre invité, nous assistons à une « nouvelle donne » : « l’oubli est en passe d’être levé. La théologie chrétienne se trouve de plus en plus sollicitée sur la base de ses objets propres » (Philippe Capelle, Finitude et mystère, Cerf, 2005.)

Qui est Philippe Capelle-Dumont ?

Il est docteur en théologie, docteur en philosophie, doyen de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, professeur à l’université de Strasbourg et à l’Institut catholique et fondateur de la toute récente Académie catholique de France. Son travail, depuis des années, tourne autour de l’articulation de la foi et de la raison, de la théologie et de la philosophie.

Citons différents livres :
- Dieu existe-il encore ? (Cerf, 2005 – débat avec André Compte-Sponville),
- Philosophie et théologie dans la pensée de M. Heidegger (Cerf, 1998), - Finitude et mystère (Cerf, 2005)

Citons surtout (pour cet entretien) :

- l’Anthologie de philosophie et théologie (en quatre Volumes, 140 notices et 90 spécialistes, anthologie par auteurs avec, pour chacun d’entre eux, une petite notice et beaucoup de textes) :
- Tome I : Philosophie et théologie dans la période antique, volume dirigé par Jérôme Alexandre (Cerf, 2009, 397 pages, ) (Volume couvrant la période allant de Platon à Jean Damascène (au VIII ème siècle.) avec 29 notices sur des philosophes soucieux de théologie ou des théologiens soucieux de philosophie.
- Tome II : philosophie et théologie au Moyen-Age, volume dirigé par Olivier Boulnois (Cerf, 2009, 466 pages) (Volume couvrant la période allant jusqu’au XV ème siècle avec 24 notices.)
- Deux autres volumes seront publié en 2010 : la période moderne (XVI ème siècle) et la période contemporaine (XX ème siècle)

Philippe Capelle-Dumont, dans la première partie de cet entretien exclusif, rappelle les raisons de cette séparation entre philosophie et théologie et, dans une seconde partie, l’histoire des relations entre théologie et philosophie dans la période antique et au moyen-âge.

En quelques mots...

Quelques mots pour résumer les divers points abordés ici par notre invité qui donne largement plus de détails et de précisions :

- Souvenons-nous que le mot de « theo-logia » vient de Platon (la République Livre II). Socrate dit « Or, Dieu n’est-il pas essentiellement bon et n’est-ce pas suivant cette idée qu’il faut en parler ? ».

- Les premiers Pères de l’Eglise, considérant que « l’âme est naturellement chrétienne » (Tertullien) vont assimiler la philosophie grecque, se confronter à elle et faire de la « religion chrétienne » « notre philosophie » selon ce qu’en dit Clément d’Alexandrie.

- Quant au moyen-âge, certains considèrent qu’existe alors une servitude complète de la philosophie à la théologie. Or, dit Olivier Boulnois, dans sa préface au second volume de l’anthologie, le moyen-âge a inventé ces deux pôles (celui de la philosophie et de la théologie). Reprenant ce qu’en dit Remi Brague(philosophe récemment élu à l'Académie des sciences morales et politiques), il indique que le décollage de l’Occident n’a été possible qu’à partir du moment où la théologie a admis une « vérité extérieure à elle » au point de considérer que les sciences ne sont pas chrétiennes mais, tout simplement, vraies. Cette séparation est essentielle à la sphère chrétienne-européenne et instaure une différence avec, par exemple, la religion musulmane. Mais, bien entendu, il faut aussi considérer qu’une certaine scholastique tardive, sous l’influence de Guillaume d’Ockkam, a mis en avant un « Dieu arbitraire : un Dieu qui trompe et abuse l’homme, tout en exigeant de lui une obéissance aveugle », selon ce qu’en dit Walter Kasper (La foi au défi, 1889).

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