Tombes princières d’Anatolie au musée du Louvre

Avec Nicolas Bel, conservateur au département des Antiquités orientales au Musée du Louvre
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Les fouilles en Anatolie ont révélé treize tombes princières datant de 2500 à 2100 avant J.C., où les défunts reposaient accompagnés d’un mobilier funéraire extrêmement riche. Nicolas Bel, conservateur au département des Antiquités orientales et commissaire de l’exposition du musée du Louvre sur le site d’Alaca Höyük, présente ces fouilles et le mystère de ces tombes princières somptueuses.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr646
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L’Anatolie développe au IIIe millénaire des échanges commerciaux avec la Mésopotamie, le Levant et le monde égéen grâce à ses ressources minières (or, argent, cuivre). Quelques sites prestigieux, Troie et Alaca Höyük, au nord-est d’Ankara, illustrent la prospérité des potentats locaux qui bénéficient alors de ces échanges.

Retracer l’histoire de la découverte de ces tombes est également l’occasion de rendre hommage aux pionniers de l’archéologie turque : Fondée en avril 1930 par Mustafa Kemal Atatürk la Société d’Histoire turque étudie l’histoire du peuple turc et publie systématiquement les résultats de ses recherches. La Société engagea sa première campagne de fouilles en 1935 sur le site d’Alaca Höyük.

La porte d’Alacahöyük, période hittite

Le plateau d’Anatolie centrale, délimité au sud par le fleuve Kizilirmak (l’Halys des Anciens) et au nord par la chaîne pontique, est le berceau de la civilisation hittite, qui s’élabore vers 2000 avant J.C. pour devenir un puissant empire au IIe millénaire. A trente-cinq kilomètres au nord de la capitale hittite (Hattusha), Alaca Höyük, la « colline d’Alaca », fut de fait d’abord connue pour ses vestiges de l’époque hittite ; mais les fouilles conduites à partir de 1935 mirent en évidence l’occupation continue du site de IVe millénaire (époque chalcolithique) au Ier millénaire avant J.C (époque phrygienne), et révélèrent l’existence de somptueuses tombes appartenant à l’âge du Bronze ancien, au IIIe millénaire avant J.C.

A mille mètres d’altitude, le plateau d’Alaca est dominé au nord par la chaîne des montagnes du Pont. La région était dans l’Antiquité beaucoup plus boisée, et offrait un environnement fertile. La présence d’une source au pied du tertre a dû commander la première installation sur le site.

La géographie complexe de l’Anatolie centrale entraîne une disparité entre les différentes cultures du IIIe millénaire. Pourtant, un même phénomène de concentration des richesses s’observe aussi bien dans l’ouest (Troie) que sur la plateau central (Alaca, Arslantepe). Comment expliquer cette prospérité à Alaca ? Deux phénomènes principaux ont dû jouer un rôle : d’une part, depuis le IVe millénaire l’organisation des communautés villageoises permet de gérer les surplus agricoles et de produire un artisanat spécialisé ; d’autre part, l’importance croissante du cuivre dans l’outillage à partir du IIIe millénaire amène les régions riches en minerais à en organiser l’exploitation et le commerce : c’est le cas de l’Anatolie, dont les gisements de cuivre, d’or et d’argent vont rapidement approvisionner les demandeurs que sont la Mésopotamie, le Levant et l’Egée. Il en découle la naissance d’un système de chefferie, dans lequel l’ensemble des productions et de leur commercialisation est contrôlé et protégé par une élite.

La somptuosité du mobilier funéraire témoigne de cet enrichissement. A ce titre, la nécropole d’Alaca, bien qu’exceptionnellement riche, n’est pas unique sur le plateau central ; la nécropole de Mahmatlar et la tombe d’Horoztepe, découvertes fortuitement au nord-est d’Alaca, relèvent de la même tradition de la tombe à fosse, et ont livré du mobilier proche de celui des tombes d’Alaca : « disques solaires », aiguières en or ou en cuivre, enseignes animalières.

Tombe princière d’Alaca Höyük.

La tombe à fosse

A quelle tradition rattacher ces coutumes funéraires? La culture hatti, non indo-européenne, semble occuper le plateau central au IIIe millénaire : elle nous est surtout connue par l’intermédiaire des Hittites, Indo-européens arrivés là peu avant 2000 avant J.C, qui ont assimilé nombre de traditions hatti (mythes, rituels et vocabulaire religieux).
Toutefois, les caractères inhabituels des tombes d’Alaca (tombes à fosse et somptuosité) par rapport aux traditions locales (inhumation en pleine terre ou en jarre, avec très peu de mobilier) ont poussé les spécialistes à chercher également ailleurs l’origine de ces élites : dans les différentes vagues indo-européennes qui se sont succédées autour de la mer Noire aux IIIe et IIe millénaires pour se répandre en Europe et en Anatolie. La structure de la tombe à fosse rappelle celle des tombes du Kuban, à l’est de la mer Noire (dont celle de Maikop est la plus célèbre), ainsi qu’une partie des tombes du cercle funéraire B à Mycènes, où cette technique semble intrusive, comme à Alaca Höyük.
Ce phénomène montrerait que les élites inhumées là sont indo-européennes, dominant des communautés qui ne le sont pas. Cette interprétation, reposant sur la diffusion d’un modèle funéraire, reste hypothétique.

Carte de l’Anatolie à l’Age du Bronze


En savoir plus :

Exposition Musée du Louvre, au département des Antiquités orientales, jusqu’au 18 janvier 2010.

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