Banques, bonus et dividendes. Raisons et déraisons d’une « crise-passion » française

Une chronique de Jean-Louis Chambon
Avec Jean-Louis Chambon
journaliste

Si l’on peut pointer quelques coupables à la crise bancaire, il semble que les banques françaises se soient bien comportées. Cependant, l’ignorance des Français en matière économique fait entendre quelquefois des contresens inquiétants. Jean-Louis Chambon redresse ici quelques idées fausses en matière bancaire.

Émission proposée par : Jean-Louis Chambon
Référence : chr537
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La France vient de s’offrir une nouvelle « crise-passion » dont elle a le secret :
Hier le CPE, l’âge du capitaine, le style bling bling ou le délai de congés de maternité d’un ministre…..mieux vaut en sourire. Mais on pourrait aussi le déplorer car tout se passe comme si ces crispations constituaient une tentation de la société civile pour répondre à ses « grandes peurs » et à chacun de ses maux, en focalisant sur le microscopique et le dérisoire, avec une recherche régulière de bouc émissaire.
Une forme inconsciente de lâcheté collective visant à s’économiser la douleur d’un diagnostic sans concession sur l’état de la France (est-elle en faillite, s’interrogeait Christian Saint-Etienne) sur la pertinence de notre modèle social (et du dialogue qui va avec) de notre éducation, de la compétitivité de l’ « entreprise France » sur nos déficits et notre endettement.
Mais le dernier épisode banque, bonus, dividende réunit à lui-seul l’essence de ce sport national aussi stérile que démagogique. Quelles en sont les raisons et les déraisons ?

1 – Les raisons (vraies ou fausses) : Tous coupables, mais pas responsables ?

Convenons que la planète banque finance a joué aux apprentis sorciers, Wall Street et la City se sont transformées en une décennie en temple de l’horreur des pratiques et de l’imagination financière. Ses dirigeants se sont progressivement nourris d’expédients (produits financiers toxiques, bonus et stock options délirants) et pour summum, l’arrivée aux commandes de personnalités largement affranchies de toute morale et de sens éthique.
Les banquiers majoritairement anglo-saxons portent indéniablement une responsabilité écrasante dans ce gigantesque séisme qui a porté le système financier mondial au bord de l’implosion, remettant en cause ses fondations et le capitalisme libéral, entraînant une perte de valeur abyssale (près d’une année de PIB mondial), alors qu’il était censé apporter richesse et prospérité.

Mais les banquiers et les financiers auraient-ils pu créer autant de dommages si le terrain n’avait pas été aussi favorable ?

Un « terrain fertilisé » par des acteurs déterminants : les autorités de contrôles des marchés financiers, le laxisme monétaire de la FED générant une abondance sans précédent de liquidités à la recherche de rémunérations extravagantes, l’inefficacité des organes de régulation et de notation, l’inertie et l’apathie du pouvoir politique.
Un abandon général de responsabilités en faveur des sirènes des places financières dominantes.
Les Etats (G7 – G 20) n’ont pas particulièrement brillé par leur lucidité, leur anticipation et leur vision de l’ordre économique mondial.
L’humilité et la discrétion actuelles de leur conseiller économique montrent à l’évidence que, pas plus que les astrologues et autres experts, ils n’avait vu arriver la tempête, qui a entraîné le système au bord de l’implosion et la récession économique en germe à maturité.
Aussi cette tentative de déresponsabilisation collective et de recherche de bouc émissaire, et de mise en accusation des banques de leur dirigeant et de leurs actionnaires n’est pas très glorieuse mais c’est humain.

2 – Le procès en sorcellerie des banques françaises et de leurs dirigeants n’est pas prêt de s’éteindre

René Ricol

Après avoir été soupçonné d’organiser la pénurie du crédit (fort heureusement le médiateur René Ricol a su agir efficacement mais avec raison et modération), puis de résistance à la baisse des taux et enfin d’être l’une des causes principales de la récession économique, la banque française voit ses dirigeants attaqués sur le plan de l’éthique et de la morale et présentés comme des animaux de sang froid, insensibles à la misère ambiante et jouissant outrageusement de leurs privilèges financiers ! Cette attitude hostile prend ses racines dans l’histoire et caractérise un des pans peu glorieux de notre culture , la haine de l’argent, s’ajoutant à l’inculture économique structurelle française.
Les français méprisent l’argent et encore plus le pouvoir qui lui est attaché. Banque et banquiers portent ce double malheur sur leurs chemins de Damas.

L’inculture économique angoissante (85 % des français affirment ne rien savoir de l’économie et s’en désintéresser totalement) laisse le champ libre à tous les démagogues pour développer des thèses totalement infondées, irréalistes sur les finalités de l’économie et le rôle, les missions et les pratiques des banques.
Un économiste (Jacques Delpa) ne rappelait-il pas avec délectation sur une grande antenne financière, une des devise du front populaire : « les banques je les ferme, les banquiers je les enferme » et de préconiser sans émotion une « mise à la diète pendant cinq ans », des bonus et ….des dividendes.
Belle logique moyenâgeuse, on se demande où était ce brillant oracle en 2007, 2008 ?
L’actualité vient pourtant de rappeler cruellement par un drame humain combien le métier pouvait être exposé. Curieusement, cet assassinat (d’une employée de la BRED) a laissé politiques et opinion publique particulièrement silencieux.

3 – Les banques françaises ont-elle failli ?

Mettre sur le même banc d’infamie les banques françaises et le système financier mondial est une erreur d’appréciation majeure. Les banques françaises restent un acteur mineur de la déconfiture des marchés financiers, elles sont d’abord les victimes collatérales d’errements anglo-saxons.
Leur responsabilité est particulièrement atténuée car nul ne peut se prémunir d’un risque systémique aussi compétent soit-il.
D’autre part les dommages subits bien qu’importants par les banques françaises ne paraissent pas devoir affecter à terme leur solvabilité. Le modèle français apparaîssant actuellement comme l’un des plus résistant à ce désastre grâce au poids de la banque de détail dans ses métiers et la large implantation internationale.
D’ailleurs les résultats bénéficiaires, bien qu’en net recul, connus de l’exercice 2008, pour les grands établissements, montrent que l’activité bancaire française a superformé celle de ses concurrents qu’ils soient américains, anglais ou allemands dont les pertes sont abyssales.

Les dirigeants ont-ils eu un comportement irresponsable ou moralement contestable ?
A l’exception d’une perte atypique d’un grand établissement, les résultats d’exploitation montrent que les pertes proviennent pour l’essentiel de dépréciation d’actifs liée au contexte mondial. Les autres activités sont restées sous contrôle, et pour l’essentiel, leur responsabilité professionnelle ne semble pas engagée de même que leur comportement n’a paru à aucun moment dicté par la cupidité monnaie courante dans les marchés financiers.
Ce constat confirme l’excellente réputation que les dirigeants de banque française ont acquis au cours de la dernière décennie aussi bien en terme de développement que de gestion.

Les dirigeants devaient-ils démissionner ?
C’est au conseil d’administration d’apprécier l’intérêt souverain de l’entreprise et de ses actionnaires en droit privé et non pas à l’Etat. Le comportement des grands dirigeants français concernés a été de ce point de vue conforme au droit et à l’éthique en soumettant à leur conseil le principe de leur démission.

Quid des bonus ?

C’est dans ce contexte nouveau, où l’opinion publique et le pouvoir politique se disputent la légitimité de l’ordre moral que se pose la question des bonus des dirigeants bancaires. L’intervention publique dans cet espace privé a été assez mal venue, le système de rémunération des dirigeants des banques comme celui des autres entreprises privées relève des conseils d’administration qui représentent les intérêts des propriétaires des entreprises. Le cadre juridique est clair, le droit c’est le législateur qui est seul en mesure de le faire évoluer :
En l’état il a été respecté.
Quant à la morale, elle relève de l’ordre des hommes, mais elle n’est pas l’exclusivité des hommes politiques. Rien ne dit d’ailleurs que les conseils n’auraient pas pris les mesures que l’opinion relayée par l’Etat, appelait de ses vœux.

Devaient-ils rendre leur bonus ?
Cette question a fragilisé la solidarité des dirigeants bancaires et notamment ceux de la BNP d’un côté et du Crédit Agricole et de la Société Générale de l’autre. Il reste que les deux positions étaient parfaitement respectables ; du côté de la BNP ce sont des considérations éthiques, personnelles qui l’ont emportées eu égard aux faibles performances de l’entreprise et de l’autre côté c’est du point de vue du droit que se prenait la position de principe. Et sauf à considérer que les bonus sont d’ordre public, on se demande pourquoi les politiques se sont crus investis d’une mission sacrée en la matière.
Cela démontre au moins qu’en l’absence de règles déontologiques, librement établies, et intelligibles, il n’y a pas de vérité au plan de l’éthique c’est d’ailleurs cette lacune que les dirigeants salariés et leurs représentants, à travers leur fédération, la FNCD, qu’ils s’efforcent de combler, dans les meilleurs délais, à travers l’élaboration d’une charte de déontologie de la dirigeance, dans le prolongement de ce qui a été déjà réalisé par les employeurs (code Medef – Afep).

Quid des dividendes ?

Nous sommes tous des actionnaires :
Pour prendre une position de principe sur ce sujet, il est bon de s’en souvenir. L’Etat a d’ailleurs largement favorisé ce statut à travers les PEA, les privatisations, le développement des salariés actionnaires mais une majorité de français est aussi actionnaire via les SICAV qui gèrent leur participation, leur intéressement par leur caisse de retraite qui possèdent des portefeuilles importants d’actions, etc.
L’actionnaire est doublement vertueux : copropriétaire d’une entreprise il est un acteur important du financement de l’économie, sans épargne il n’y a pas d’investissement et sans investissement il n’y a pas de développement, d’emploi, etc.
Mais c’est aussi un agent économique qui accepte de risquer son capital. Le risque est indissociable du progrès, du profit qui permet l’investissement et rémunère le risque. La contre partie du risque c’est l’espérance de gains. Cette espérance c’est aussi le dividende qui la sanctionne. Le dividende rémunère l’immobilisation du capital à des taux voisins des placements sans risque ( 2 à 4 %) tandis que les plus values ou les moins values sanctionnent la prise de risques elle-même.
En outre rappelons que la distribution de dividendes ne représente qu’une part, environ 1/3 des bénéfices, la différence va à l’entreprise, et que par ailleurs les résultats bénéficiaires sont largement redistribués par l’impôt. Lorsqu’on parle de trois milliards de dividendes pour la BNP en poussant des cris d’orfraie en 2007, on oublie de préciser que cette distribution se rapporte à près de 100 milliards de valeur boursière en capital et qu’elle est accompagnée de mise en réserve de quatre milliards et d’un niveau d’impôt voisin.
Enfin la distribution des dividendes relève d’une décision d’assemblée générale : elle est conditionnée par la capacité bénéficiaire de l’entreprise et sa stratégie, en terme de réserve et de fonds propres, elle n’est pas d’ordre public. Dans ces conditions, il peut apparaître surprenant qu’un prêteur, fusse-t-il public, conditionne son intervention à une spoliation des actionnaires qui pour bon nombre sont autant de petits épargnants, de retraités, de salariés actionnaires et d’électeurs. Autant se tirer une balle dans le pied.

Quelques autres déraisons, affirmations gratuites ou erronées :

1 – On a donné de l’argent public aux banques :

Rien n’est plus faux, aucun argent public n’a été donné aux banques ce sont des avances ou des prêts. Comme tout prêt, y compris les instruments sophistiqués comme les actions préférentielles ils produisent intérêts et on vocation à être remboursés. Et en ce qui concerne les derniers plans, les intérêts sont particulièrement élevés, de l’ordre de 8 % avec de surcroît l’impossibilité de les déduire fiscalement : drôle de cadeau. C’est en outre le rôle de l’Etat de soutenir les secteurs économiques en difficulté, par le passé peu y ont échappé, textiles, sidérurgie, chantier naval, autoroute, presse, etc.
Quant un secteur est sinistré mondialement cette intervention est d’autant plus justifiée et ne doit pas conduire à jeter l’anathème sur les bénéficiaires d’autant que la finalité consiste à permettre au système bancaire d’assurer ses missions du financement de l’économie.
Ajoutons que les règles et les normes qui sont imposées en matière de fond propre aux banques relèvent comme l’affirmait Bertrand Jacquillat et Olivier Pastré dans le figaro du 2/01/2009, d’un nouvel intégrisme : avec un commentaire que l’on peut partager « peut-être que certaines autorités de contrôle bancaire sont avides de rédemption pour les erreurs qu’elles ont commises dans le passé et que certaines banques d’affaires sont en mal de chiffre d’affaires ».

2 – L’argent du contribuable ne doit pas servir à payer les bonus et les dividendes

Evidemment qui aurait pu le penser ? "Au secours l’Etat revient" titrait dans Le Figaro Yves de Kerdel le 20/01/2009. Nous partageons cette angoisse car bonus et dividendes relèvent de décisions de la sphère privée et en aucun cas comme je viens de le démontrer, l’argent du contribuable ne peut servir à payer bonus et dividendes ; c’est exclusivement les résultats bénéficiaires, et disponibles, selon la décision du conseil d’administration et de l’assemblée générale qui peuvent le réaliser. Aucun dirigeant ne s’aventurerait à sortir de ce cadre, le détournement de l’argent public n’est pas dans leur pratique, en tous cas en France.

Aussi les déclarations de responsables politiques ont-elles pu particulièrement choquer la communauté bancaire, du style : « nous désignerons à l’opinion les dirigeants qui refuseront d’abandonner leur bonus ». Fouquier-Tinville n’aurait sans doute pas mieux fait.
De tels amalgames entre des notions basiques et aussi différentes que prêts, dons, résultats bénéficiaires de l’entreprise et argent public sont extrêmement dommageables pour la capacité de l’opinion à comprendre et à intégrer le fonctionnement de l’économie qui conditionne toute capacité de changement qui fait tellement défaut à la société française.
L’entretien, souvent inconscient d’un terreau culturel franco-français où prospèrent les contresens économiques, les procès en sorcellerie, la honte de l’argent et le rejet à priori d’un système, le capitalisme libéral dont on a encore pas trouvé une seule alternative crédible, relève d’une dérive qui compromet l’avenir même de l’impérieuse nécessité du redressement du pays.

Enfin comme ultime contribution à la pédagogie, il paraît utile de rappeler que les banques sont un maillon essentiel du fonctionnement de l’économie :

1 - En permettant au système productif de trouver des capitaux soit directement par l’accès aux marchés financiers qu’elles facilitent soit par la transformation des dépôts reçus du public en crédits à l’économie, par leurs réseaux denses et efficaces.

2 – En tant qu’employeur : l’image de la banque est très favorable aux jeunes diplômés et le secteur bancaire a, au cours de la dernière décennie, largement contribué à l’emploi national.

3 – Comme contribuable : le secteur est un des premier contributeur national (taxes, droits, impôts sociétés)

Enfin ajoutons que ce secteur aujourd’hui entré quasi totalement dans le secteur privé est sorti du secteur nationalisé après avoir essuyé, dans ce cadre la pire de ses faillites : le crédit lyonnais.
La banque française n’a donc pas à rougir de ses performances passées et paraît en tous points capable de retrouver, dans les prochaines années, l’estime qu’elle semble avoir très injustement perdue, dans un contexte dont elle est plus la victime que l’initiateur.
Les femmes et les hommes qui apportent à ce secteur leur compétence et leur enthousiasme n’ont en rien démérité, ils peuvent garder confiance dans l’avenir et dans leurs dirigeants.

A chacun de « savoir raison garder », et si possible avec sang-froid.

En savoir plus :

- Lire les fiches de www.lafinancepourtous.com

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