Luxe et civilisations avec Jean Castarède

Le luxe, de Sumer à aujourd’hui

Luxe : Raffinement qui procède du faste et du confort dans les manières de vivre, nous apprend le dictionnaire de l’Académie française. De Sumer en 3500 av. J.-C, aux « BRIC » (Brésil, Russie, Inde, Chine), Jean Castarède nous livre la manifestation du luxe à travers les civilisations du monde. Un ouvrage préfacé par Jean-Marie Rouart, de l’Académie française.

Comme l’écrit Jean-Marie Rouart dans la préface de Luxe et civilisations : « Si le luxe a toujours existé, chaque société le traduit avec originalité, avec son style qui la définit. Il répond à l’aspiration la plus profonde ».

Jean Castarède développe dans son ouvrage les idées suivantes : tout d’abord, le luxe précède l’utile.
Il est aussi humain. L’auteur emprunte la citation suivante à Claude Lévi-Strauss : « L’art du cuisinier et celui du couturier sont frères. L’un transforme le cru en cuit, l’autre le nu en vêtu, deux ruptures décisives qui ont séparé l’humanité de l’animalité, en se penchant sur les livres de recettes et les catalogues de mode, l’anthropologue apprend pareillement à connaître les mille et une façons dont s’est fait par le monde le passage de l’état de nature à l’état de société, et que les créations des maîtres de ces arts continuent à illustrer ».
Le luxe est nécessaire. Facteur de civilisation il participe à l’innovation et à l’accroissement des échanges Il consolide également par des signes extérieurs, le pouvoir et le rayonnement d’une société.
Enfin le luxe est éternel, à l’image du faste de Louis XIV, d’Auguste à Rome, de Périclès en Grèce, des Pharaons d’Egypte ou encore du faste de Louis XIV.

Eannatoum, prince sumérien de Lagash

Du côté du croissant fertile, c’est à Sumer en -3500 av. J.-C qu'on le rencontre en Mésopotamie.
On y voit apparaître les premières parures, les premiers accessoires de vêtements. Le désir de s’embellir a précédé l’acte de se vêtir.
Le commerce y est prospère grâce au commerce portuaire du Tigre et de l’Euphrate. Avec l’enrichissement des marchands, l’écriture, les jardins, les monuments (terrasses et murs rehaussés d’or, d’argent et de pierres précieuses)… le luxe devient omniprésent.
Grâce à leurs rois, les Sumériens sont les premiers à faire du mécénat étatique ou privé l’un des ressorts de leur gouvernement.

Le luxe est associé à la rareté, à la beauté, mais aussi à la sensualité : les costumes et la perfection des étoffes, les bijoux, les parfums, sont autant d’apparats qui participent à la séduction.

Taureau androcéphale ailé gardien du palais de Sargon II à Dur-Sharrukin, en Assyrie
Musée du Louvre

Les Assyriens, qui dominèrent le royaume de Babylone entre 911 à 626 av. J.-C. Ils associaient au luxe non seulement les pierres précieuses, la soie, le parfum (musc, ambre, santal), les ornements (tapis)… mais aussi la nourriture et en premier lieu, les épices.

Si le luxe est associé à l’éternité, comment expliquer l’effacement de la Mésopotamie en -130 av. J.-C ?
Pour les Juifs, dans la bible, Babylone et son luxe était considéré comme un lieu de dépravation. Les dérives du luxe figuraient parmi les causes de la disparition de cette civilisation.

Cette image du luxe est encore valable aujourd’hui : source de grandeur, le luxe, dans l’excès, peut être l’origine de « décadence ».

L'Egypte et le luxe

Comment ne parler de l’Egypte lorsque l’on évoque le luxe ?
Le faste et le luxe de cette longue civilisation nous fascine toujours autant. Les Egyptiens importent les produits les plus raffinés : l’or et l’ivoire en Ethiopie, l’encens en Arabie, les épices en Indes et le vin en Grèce.

Les bijoux sont souvent portés en guise de protection ou comme une louange aux divinités
Quant aux parfums (aux vertus thérapeutiques, mais aussi aux vertus apaisantes et enivrantes) ils sont au service de la religion et de la séduction. L’odorat semble être une jouissance pour les Egyptiens, à tel point que le hiéroglyphe « nez » apparaît dans les termes qui caractérisent la joie.

Bijou en forme de scarabée provenant de la tombe de Toutankhamon. Vallée des Rois, Thèbes. Or, ambre et lapis-lazuli. XVIIIe dynastie. Vers 1361-1352 avant J.-C.
Musée égyptien, Le Caire


L’islam et le luxe

Du côté des civilisations proches de l’islam, le luxe se traduit différemment :
Dès la fin du VIIIe siècle, les Soufis, adeptes d’une philosophie ancienne, introduisent des normes strictes. Ce courant de pensée dit en substance : « Elimine ton égo, élimine ton avidité, pratique le service de l’homme ».

Dans la vision islamique, l’un des sommets du raffinement social est exprimé par la pudeur. Dans la littérature, elle se traduit par la poésie.
Le luxe musulman est un art de vivre amical et nonchalant où l’hospitalité et l’accueil de l’étranger sont rois.

L’Afrique noire

Du côté de l’Afrique, André Malraux dit dans son Musée imaginaire de la sculpture mondiale, que les arts africains sont « hors de l’histoire ». Claude Lévi-Strauss contredit légèrement cette affirmation en indiquant que c’était la lenteur de l’histoire du continent africain qui donnait aux Occidentaux habitués aux mouvements rapides, cette impression d’absence, alors qu’il s’agit d’une différence d’appréciation de la notion du temps.

Comme l’explique Jean Castarède, le luxe apparaît avec la sculpture, la poterie, les étoffes, les métaux précieux mais aussi l’ivoire.
Le masque est également une inspiration du luxe. Il symbolise à la fois le sacré et le magique, l’ostentation et le pouvoir, et le sensuel.

Le luxe chez les Mayas et les Aztèques

Chez les Mayas, le luxe s’est développé à travers la richesse de leurs sous-sols. L’architecture de leurs pyramides, encore bien conservées à ce jour, sont la preuve de la vie fastueuse de leur civilisation. Ils développent d’excellentes connaissances en matière de plantes médicinales.
Les Aztèques pour leur part, mettent à profit la culture du cacao et du caoutchouc
L’organisation de leur société s’appuyait alors sur trois socles : l’économie, la religion et la science.

Pyramide de la lune, monument aztèque du Teotihuacán, littéralement, « lieu où l’on devient dieu »
Mexique

Les BRIC

Aujourd’hui, dans notre société actuelle on parle de BRIC, pour le luxe des pays émergents : Brésil, Russie, Inde et Chine. En dehors des Etats-Unis, ce sont les quatre pays où les milliardaires sont les plus nombreux.
Au Brésil, il existe déjà entre 300 000 et 500 000 clients réguliers du luxe. Ces Brésiliens disposent d’un revenu mensuel de l’ordre de 8000 à 10 000 euros. Prada, Chanel, ou encore Cartier l’ont bien compris et se sont installés sur le territoire il y a peu. Le culte de l’apparence chez les femmes est une aubaine pour l’industrie du luxe qui chaque année, brasse 1.8 milliard d’euros, soir près de 1% du marché du luxe mondial.
Du côté des Russes, les clients fortunés sont plutôt tournés vers la rareté, voire l’unique, avec des achats spectaculaires de maisons, de yachts et de bijoux.
Du côté des Indiens, les familles traduisent leur aisance par des intérieurs richement décorés. La porcelaine, le linge de maison et les parfums français ont la côte auprès d'eux.
Enfin la Chine est le nouvel eldorado du luxe, où une cinquantaine de maisons de hautes coutures françaises se sont installées.

Le luxe, né dans les jardins de Babylone va-t-il aujourd’hui se réduire aux défilés de mode ? Non, car il y aura toujours plusieurs luxes. Il n’est pas l’avoir mais l’être. Ainsi termine Jean Castarède en citant René Char : « seules les traces font rêver ».

En savoir plus :

Jean Castarède

Jean Castarède est ancien haut fonctionnaire, auteur d'une trentaine d'ouvrages, dont plusieurs sur le luxe :

Luxe et Civilisations et paru aux éditions Eyrolles en novembre 2008

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