Le général Fournier-Sarlovèze, « le plus mauvais sujet de l’armée »

L’officier cavalier le plus extravagant de l’Empire
Avec Laëtitia de Witt
journaliste

Remarquable officier de cavalerie, Fournier joint à sa bravoure un charme et des dons exceptionnels. Ils sont cependant gâtés par un esprit fantasque et un goût maladif de la démesure et de la provocation qui le privent à jamais d’une gloire qu’il ne cesse de poursuivre. François Malye, historien des guerres napoléoniennes en Espagne, en dresse le portrait.

Émission proposée par : Laëtitia de Witt
Référence : hist315
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Premières armes

Fils de cabaretier, François Fournier est né à Sarlat le 6 septembre 1773. Très tôt, il révèle des prédispositions exceptionnelles pour l’étude. Il excelle en latin - ce qui lui sera très utile en Espagne – et se surpasse en chant religieux. Ces dons s’accompagnent dès le départ d’une grande indiscipline et d’un goût du combat. A quinze ans, il quitte le collège et entre comme petit clerc auprès d’un procureur de Sarlat. Là encore, il étonne par sa capacité d’assimilation du droit. Sous la Révolution, il gagne Paris. C’est la révélation lorsqu’il croise un escadron de hussards. Il sera de ces hommes là mais, en attendant, il se transforme en un sans-culotte infernal. Après un court passage dans la garde du roi, au milieu de fils de nobles qu’il méprise, il est nommé en janvier 1792 sous-lieutenant au 9e régiment de dragons, stationné près de Lyon. Il passe le plus clair de son temps dans les clubs, mène une vie de patachon et oublie même de rejoindre son régiment. Malgré ses absences illégales et une sordide affaire de détournement de fonds de la caisse du régiment, il saute les grades de lieutenant et capitaine pour être nommé chef d’escadron au 16e chasseurs à cheval, à Reims.
Ses provocations et ses délations en haut lieu sur la tiédeur des officiers rendent l’atmosphère du régiment intenable. Le 9 thermidor chasse les anarchistes, Fournier est emprisonné en octobre 1794 puis envoyé dans sa province. Rendu à la vie civile, il n’a de cesse de se faire réintégrer dans l’armée avec son grade. A force d’intrigues, il obtient mieux. Il est nommé colonel et aide de camp du général Augereau, à Strasbourg. En Alsace, Fournier reprend ses frasques, la fête recommence, son arrogance n’a aucune limite. Son goût pour la séduction de femmes mariées ou non lui cause de nombreux duels, devenus son jeu favori.

Colonel au 12e hussards

En 1799, après une manœuvre insensée, il se fait « plébisciter » par les hommes du 12e hussards pour devenir leur colonel en titre. Tel est l’homme qui va maintenant tenir tête au Premier Consul puis à l’Empereur.
Lors de la seconde campagne d’Italie, il se distingue. Sa conduite est signalée au Premier Consul. Lors de la revue des troupes, Bonaparte le félicite. Resté jacobin, Fournier trouve le moyen de lui répondre par une outrecuidance. C’en est fait de lui. Fournier pourra désormais déployer toutes les facettes de son audace, Bonaparte n’aura plus pour lui qu’antipathie et aversion. Il a beau se couvrir de gloire, il ne récolte aucune citation. Dès lors, il ne cache plus sa haine pour Bonaparte, qui devient une idée fixe. Un soir, il en vient à se vanter : « Vous connaissez ma force au pistolet ; eh bien, je me charge de descendre ce jean-foutre à vingt pas, d’une balle au front ». Il est alors destitué et assigné à résider dans son département. La disgrâce dure trois ans. C’est au général Lassalle, son protecteur, qu’il doit d’être réintégré dans l’armée en 1805. Dès lors, la carrière de Fournier ne va plus être qu’une alternance de faits d’armes héroïques et de stupides incartades. Le 25 juin 1807, malgré tout Napoléon le nomme général de brigade et le 2 juillet 1808 le fait baron d’Empire avant son premier départ pour l’Espagne.

En Espagne

Arrivé en Espagne, Fournier se couvre de gloire en défendant la ville de Lugo. Napoléon est même prêt à signer sa nomination au grade divisionnaire. C’est alors que Fournier chasse à coups de sabre, parce que sa tête ne lui plaisait pas, un nouvel aide de camp envoyé par le ministre de la Guerre. Il est relevé de son commandement. Mais on a trop besoin en Espagne de cavaliers comme Fournier, il est rappelé pour être placé à la tête de la cavalerie du 9e corps. Il se lance dans une petite guerre contre les bandes de la guérilla. Sa brutalité et son efficacité redoutable dans les opérations de lutte antiguérilla lui valent d’être surnommé El Demonio par les espagnols.
Le fait d’armes qui rend Fournier célèbre se déroule à Fuentes de Onoro le 5 mai 1811. Il est le premier cavalier français à commander une charge qui enfonce un carré britannique. Malgré cette charge héroïque, la victoire échappe aux français. Fournier obtient tout de même sa troisième étoile pour ce fait d’armes. Quelques temps après, malade il rentre en France.

Une fin de carrière en demi-teinte

Puis c’est la campagne de Russie et la défense magnifique des ponts de la Bérézina. C’est enfin la campagne de Saxe en 1813 où Fournier va, une dernière fois par son arrogance, s’attirer les foudres de l’Empereur. Cette fois, ce sera sans appel. Destitué, renvoyé dans ses foyers, il ne reverra plus un champ de bataille.
Lors de la deuxième Restauration, il intrigue auprès de Louis XVIII pour obtenir le poste d’inspecteur général de la cavalerie. Le roi accepte et lui permet aussi d’ajouter à son nom le patronyme de Sarlovèze (enfant de Sarlat). Le 18 janvier 1827, celui qui fut un des officiers les plus extravagants de l’Empire, s’éteint.

Un personnage de roman

- Fournier est l'instigateur du roman de Joseph Conrad "Le duel" rendu célèbre par l’adaptation cinématographique qu’en a fait Ridley Scott en 1977 sous le titre Les duellistes. L’œuvre de Conrad est le récit du plus célèbre duel livré par le général Fournier.

Pour en savoir plus :
- Jean-René Aymes, L’Espagne contre Napoléon. La guerre d’indépendance espagnole 1808-1814. Paris, Nouveau Monde éditions, Fondation Napoléon, 2003.
- François Malye, Napoléon et la folie espagnole. Paris, Tallandier, 2007.

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