Jean Calvin : Mieux connaître sa vie et son œuvre

avec Bernard Cottret, professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin
Avec Virginia Crespeau
journaliste

Bernard Cottret propose ici de mieux comprendre le sens de la mission et de l’entreprise du grand Réformateur Jean Calvin dans cette Europe du XVIème siècle aux prises avec une religion dominante faite de craintes et de peurs. Invité par Virginia Crespeau, Bernard Cottret est professeur de civilisation et d’histoire des Iles Britanniques et de l’Amérique coloniale à l’université de Versailles Saint-Quentin, et membre de l’Institut universitaire de France.
dimanche 26 avril 2009 - réf.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : hist540
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Ouverture d’un passionnant article sur Calvin intitulé : « Les secrets de Calvin » paru dans la revue L’Histoire N°340 Mars 2009, Bernard Cottret écrit « On connait l’aphorisme d’Alfred Loisy, professeur d’histoire des religions au début du siècle dernier : « Jésus annonçait le royaume et c’est l’Eglise qui est venue. » Il est arrivé la même mésaventure à Calvin : il a voulu annoncer le royaume et il a fondé le calvinisme » …

Bernard Cottret explique notamment dans cette émission pourquoi et comment la Réforme émergea en Europe : « Je crois que l’un des historiens qui ont le mieux posé ce problème de la foi, qui d’ailleurs est membre de cet Institut c’est Jean Delumeau (de l'Académie des inscriptions et belles-lettres) ; Jean Delumeau a très bien montré comment la religion traditionnelle de ce XVI ème siècle était une religion de la peur, c’est sa propre expression ; je crois que beaucoup d’hommes de ce siècle d’après Moyen Age, baignaient dans cette religion dominante faite de craintes ; le réformateur allemand Luther lui-même décrit la religion de sa jeunesse comme une religion de crainte épouvantable. La peur est un instrument de domination, la religion de la peur est quelque chose d’effrayant…

Bernard Cottret

La grande aventure de la Réforme protestante dans sa pluralité, a été de sortir de cette terreur-panique qu’inspirait le salut et de rappeler que le salut devait être l’expérience absolument inverse, c'est-à-dire l’expérience de la confiance, parce qu’est-ce-que la foi sinon la confiance ?
Et je crois que Calvin comme Luther a fait cette expérience de la foi, de la confiance en Dieu.
L’une des questions fondamentales que l’on pose immanquablement à propos de Calvin concerne sa doctrine de la double prédestination : certains sont promis au salut éternel et d’autres à la damnation éternelle…
Très souvent ce que l’on ne voit pas, c’est que la première partie de cette doctrine que l’on peut trouver redoutable est tout de même profondément apaisante : c'est-à-dire qu’un certain nombre d’individus sont sauvés, on pourrait dire malgré eux; ils sont sauvés parce que Dieu l’a voulu ainsi…
C’est l’expérience initiale de Calvin : lui-même et ceux qui l’entouraient sont sortis d’une religion initiale de la peur, une religion de la terreur et leur expérience est déjà l’expérience du salut, c’est d’ailleurs exactement ce que décrit Luther quelques années auparavant au cours de ce que l’on a nommé « l’expérience de la Tour ».
Mais attention, gardons à l’esprit que cette religion de la peur que j’évoquais il a un instant, est une religion qui dans le fond peut se reconstituer aussi dans le protestantisme ou dans un certain catholicisme, voire ailleurs encore, avec une facilité déconcertante … La peur est, et a toujours été, un instrument de domination… »

Calvin, monument de Genève
les 4 personnages du monument de Genève : Guillaume Farel, Jean Calvin, théodore de Bèze et John Knox

Le terroir et la famille de Calvin

Toujours dans son article sur Calvin intitulé : « Les secrets de Calvin » paru dans la revue L’Histoire N°340 Mars 2009, Bernard Cottret écrit :
«Comment Calvin est devenu Calvin ? Ou encore comment le calvinisme vint-il à Calvin ?...
On peut tenter de suivre son cheminement en insistant sur les facteurs familiaux. Une origine géographique tout d’abord : Calvin est né le 10 juillet 1509 à Noyon, à proximité de cette Oise qui avait fourni du travail à ses ancêtres. C’est dans le hameau du Pont-l’Evêque, tout proche, que le grand-père de Calvin avait exercé à l’automne du Moyen Age le métier de tonnelier. Girard, le père de Calvin, avait accédé à la bourgeoisie de Noyon en 1497. Il avait épousé en premières noces Jeanne Le Franc, fille d’un ancien hôtelier de Cambrai. La mère de Calvin devait mourir en 1515, laissant derrière elle un fils de 6 ans. Simple greffier municipal, puis avoué auprès de l’officialité épiscopale, Girard avait été agent fiscal, secrétaire épiscopal et enfin procureur du chapitre cathédral. Mais le clergé n’avait pas été tendre avec son serviteur, mort excommunié en 1531 en raison de sombres querelles avec le chapitre. Charles, le frère aîné de Calvin, était entré dans les ordres, mais il mourut en refusant les derniers sacrements de cette Eglise qui avait tourmenté son père. Calvin eut deux autres frères, François mort en bas âge et Antoine qui l’accompagne à Genève, où la légèreté de sa femme défraie la chronique.

Des études de droit et un amour des lettres

Le jeune Calvin avait reçu la protection de l’évêque de sa ville natale, et il se destinait tout naturellement à l’état ecclésiastique lorsque son père, lassé sans doute des tracasseries du clergé, lui fit changer d’orientation, et entamer des études de droit. « Dès que j’étais jeune enfant, mon père m’avait destiné à la théologie, allait écrire Calvin laconique, mais plus après, d’autant qu’il considérait que la science des lois communément enrichit ceux qui la suivent, cette espérance lui fit incontinent changer d’avis. Ainsi, cela fut cause qu’on me retira de l’étude de philosophie, et que je fus mis à apprendre les lois. »
Après Paris, où il étudia au collège de La Marche et au collège de Montaigu, le jeune homme se retrouva à Orléans, puis à Bourges. Ses débuts littéraires, il les fit en avril 1532 en publiant un commentaire du De clementia de Sénèque. Un Calvin, humaniste et amoureux des belles lettres, effectuait sa rentrée littéraire, sans que sa tentative n’ait pour l’instant de coloration religieuse définie. La conversion n’intervint qu’un peu plus tard, vers 1532-1533, à une date difficile à cerner avec précision.

Une théologie de laïc et d'homme de loi

Devant les micros de Canal Académie, Bernard Cottret développe :
« Lorsque Girard dit à son fils Jean : « Non, écoute, arrête tout de suite, la prêtrise c’est terminé, tu vas faire des études de droit, comme ton père, et tu verras, tu ne le regretteras pas… » Jean Calvin décrit ça avec des formules très imagées, et on s’aperçoit à le lire, que cela a été effectivement, le moment décisif dans sa carrière, en tout cas dans sa vie intellectuelle autant que spirituelle.
Calvin n’a en effet jamais fait d’études de théologie et n’a jamais été prêtre, ce qui le distingue radicalement de Luther qui lui est un ancien moine.
Cela explique sans doute ce qui personnellement m’attire tant chez Calvin, moi qui suis redoutablement laïc, si je peux me permettre une semi-confidence, c’est précisément cela : Calvin n’est pas un prêtre, Calvin va faire une théologie de laïc, une théologie, allons jusqu’au bout, une théologie de juriste, c'est-à-dire que ce sont ses études de droit qui lui ont permis de comprendre en fait les Saintes Ecritures.
Nous avons là quelque chose de puissamment original, et je crois que ce qui rend à l’heure actuelle la théologie de Calvin si attachante, c’est précisément de ne pas avoir été celle d’un prêtre et d’avoir été celle d’un homme de loi ; c’est extraordinaire parce que Calvin est un laïc, Calvin est un moderne, Calvin pense la cité…
Ce qui fait qu’à mon avis, il y a une importance de Calvin en dehors du protestantisme, en dehors des milieux strictement religieux ; toutes nos traditions politiques et intellectuelles ont été façonnées de façon plus ou moins directe par l’influence de Calvin.

Il y a un autre auteur auquel je pense qui a été marqué par sa ville natale qu’était Genève, c’est Jean-Jacques Rousseau ; Jean-Jacques Rousseau qui théologiquement n’entretient pas des liens d’une proximité évidente avec Calvin mais qui sur le plan de son outillage mental, sur le plan de sa pensée, sur le plan conceptuel, est un héritier de Calvin. Je crois que d’une certaine façon que tous les traités sur la société que Jean-Jacques Rousseau a pu écrire sont d’une certaine façon d’imprégnation calviniste… »

L'ouvrage de Bernard Cottret consacré à Calvin est paru aux éditions Jean-Claude Lattès.

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