20 mars 1811 : naissance du roi de Rome

avec Christophe Beyeler, conservateur au château de Fontainebleau
Avec Laëtitia de Witt
journaliste

Le 20 mars 1811 naissait au palais des Tuileries Napoléon François Joseph Charles, titré roi de Rome, fils de Napoléon Ier et de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. A l’occasion du 200ème anniversaire de cette naissance, Christophe Beyeler, conservateur au château de Fontainebleau, chargé du musée Napoléon Ier et co-commissaire de l’exposition « Enfance impériale » consacrée au roi de Rome, revient sur les préparatifs et les enjeux de cet événement majeur du règne de Napoléon. Il est l’invité de Laetitia de Witt.

Émission proposée par : Laëtitia de Witt
Référence : hist645
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La venue d’un héritier était attendue par Napoléon qui, avec l’Empire, avait institué un régime héréditaire. Aussitôt la grossesse de Marie-Louise confirmée, il s’attacha à préparer l’événement et se préoccupa de la constitution d’une Maison des Enfants de France. Tout comme pour son mariage avec Marie-Louise, Napoléon s’en remit aux traditions de l’Ancien Régime. Dès octobre, il chargea Ségur, grand maître des cérémonies, de recherches sur le cérémonial qui accompagnait les naissances royales. Pour la constitution de la Maison et plus précisément pour la nomination et les attributions de la gouvernante, on se référait ainsi à des actes du Régent, datés de 1722, nommant Anne Julie-Adélaïde de Melun, princesse de Soubise au poste de gouvernante des Enfants et petits-enfants de France. Si l’essentiel du texte était repris, l’empereur marqua tout de même son empreinte en ajoutant les mots « sous nos ordres ».

Autre nouveauté, il fit adjoindre au brevet un serment de fidélité commençant par ces mots : « Je jure obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur… ». La gouvernante était nommée à vie et avait le pas sur toutes les dames de la Cour. Reste à savoir qui pouvait assumer cette lourde tâche ? Napoléon cherchait une femme dont le nom, la naissance, les vertus ennobliraient encore la charge. Par le brevet du 22 octobre, il fixa son choix sur la comtesse de Montesquiou, née Louise Le Tellier de Louvois, femme du grand chambellan. Avec du sang Noailles et Gontaut, n’était-elle pas d’une parfaite représentante d’une vieille famille de l’Ancien Régime ?

- Après sa nomination, madame de Montesquiou dut constituer la Maison des Enfants de France. Celle-ci fut arrêtée au cours des premiers mois de 1811. Elle se composait d’abord de deux sous-gouvernantes, la comtesse de Boubers-Bernatre et la baronne de Mesgrigny. Venaient ensuite les premières femmes de chambre, les berceuses parmi lesquelles figurait Madame Marchand - mère du valet de chambre de Napoléon, elle suivra le roi de Rome à Vienne. Suivaient les femmes de la garde-robe, les nourrices, sans oublier la maison masculine avec les écuyers, le secrétaire mais aussi le médecin ordinaire et bien d’autres encore. Madame de Montesquiou gérait en fait un véritable ministère, très hiérarchisé. Comme le souhaitait Napoléon, la Maison des Enfants de France renouait avec les fastes de l’Ancien Régime. D’ailleurs, n’était-ce pas sa façon à lui de réconcilier le Lys monarchique à l’Aigle impérial ?

- La layette du futur bébé fit également l’objet de toutes les attentions. Le 21 novembre, madame de Montesquiou apprenait que 100 000 frs étaient alloués au trousseau du premier enfant de France auxquels s’ajoutaient 20 000 frs pour l’entretien de la garde-robe. C’est ainsi que la veuve Minette, marchande lingère rue de Miromesnil, fournit 42 douzaines de langes, 20 douzaines de brassières, 26 douzaines de chemises, 50 douzaine de couches, 12 douzaine de fichus de nuit et de mouchoirs sans oublier les robes en batiste, en satin, ornée d’abeilles.. . La liste est impressionnante. Certaines de ces pièces sont encore conservées par le château de Fontainebleau.



- Outre la layette, madame de Montesquiou fut aussi en charge de l’ameublement et du décor dans lequel allait vivre l’enfant. Dès la fin de novembre, elle se préoccupa des berceaux. Il en fallait au moins deux. Un premier fut commandé à Jacob-Desmalter. Il était destiné à l’appartement du roi de Rome à Saint-Cloud. Il est aujourd’hui conservé au château de Fontainebleau. Le second est commandé à Thomire, Duterme et Cie pour l’appartement des Tuileries. En bois d’if, il présente une ornementation riche évoquant le Tibre et la Seine. Ce berceau est également conservé à Fontainebleau. De son côté, la mairie de Paris fit présent à l’empereur, le 5 mars 1811, d’un somptueux berceau dessiné par Prudhon et réalisé par Thomire et Odiot. Véritable pièce d’orfèvrerie, il coûta la coquette somme de 152 289 frs. Cette pièce fut par la suite envoyée à Vienne, où il se trouve toujours. En-dehors des berceaux, madame de Montesquiou commanda un ensemble de meubles et objets destinés à l’enfant comme des commodes, des lits pliants, des bibliothèques portatives. L’orfèvre Biennais fut chargé de réaliser une vaisselle en argent. Au début de l’année 1811, tout était prêt pour accueillir l’enfant impérial.



La naissance de l’héritier

- De son côté, Marie-Louise, très inquiète, se préparait à l’accouchement. Napoléon, très prévenant à son égard, se montrait tout aussi agité et anxieux qu’elle. Le 19 mars au soir, Marie-Louise ressentit les premières douleurs. Le cérémonial prévu s’engageait. Les témoins choisis, les princes de la famille et les grands dignitaires furent aussitôt prévenus et invités à se rendre dans l’appartement de l’Impératrice. Napoléon était au comble de l’agitation, bien plus qu’à la veille d’une bataille décisive. En définitive, la nuit se passa dans l’attente. A 5 heures du matin, Marie-Louise s’était même endormie. Pourtant, peu avant huit heures tout s’accéléra, c’était éminent. D’après l’accoucheur, Antoine Dubois, d’ailleurs terrorisé par sa responsabilité, la naissance s’annonçait difficile. Lorsqu’il demanda à l’empereur qui devait-il sauver, la mère ou l’enfant, Napoléon répondit spontanément : « la mère ! Avec la mère j’aurai un autre enfant ». Pendant ce temps-là, Marie-Louise hurlait, convaincue qu’on était prêt à la sacrifier. Dubois tardait à se mettre à l’ouvrage, il attendait Corvisart, médecin ordinaire de l’Empereur, qui finalement arriva. Voilà Dubois pouvait se lancer. L’enfant se présentait par les pieds, il fut obligé d’utiliser les fers. C’est ainsi après un pénible travail que naquit le roi de Rome, le 20 mars à 9h20.

- A l’annonce de la délivrance, Napoléon surgit du cabinet mitoyen et se précipita au chevet de l’impératrice qui avait beaucoup souffert. Chose incroyable, personne ne se soucia du nouveau-né, abandonné à terre. Faut-il y voir un mauvais présage ? Un instant, on le crut même mort. Seul Corvisart prit soin de le ramasser. Les quelques gouttes d’eau de vie qu’il lui ingurgita lui firent reprendre vie. En entendant les premiers cris de l’enfant, Napoléon se retourna et réalisa qu’il avait un fils ! Le miracle s’était produit. Il était décidemment béni des dieux ! Puis l’étiquette prit le relais : madame de Montesquiou présenta l’enfant à l’archichancelier Cambacérès en vue de rédiger l’acte de naissance, devant les deux témoins, le prince Eugène de Beauharnais et le grand-duc de Würtzbourg, ancien grand-duc de Toscane et oncle de Marie-Louise. L’enfant reçut les prénoms de Napoléon, François, Charles, Joseph et le titre de roi de Rome. Le choix de ce titre était loin d’être anodin. Il faisait référence à la domination de Napoléon sur l’Europe tout en rappelant les fastes des fondations antiques, berceaux des empereurs. D’une grande démagogie politique, ce titre faisait de l’enfant, dès sa naissance, un instrument évident du système de propagande impérial comme en témoigna la symbolique qui se développa aussitôt autour du roi de Rome. Nombreux furent les artistes à faire références à Rome. Pierre Paul Prud’hon exécuta l’un des premiers portraits de l’enfant, âgé soi-disant de 15 jours. Il le représente alors à la manière d’un camée dans un médaillon antique. Sous le portrait figure la louve romaine allaitant Romulus et Remus. Louve que l’on retrouve sur les bas-reliefs du berceau offert par la ville de Paris. Ces allusions aux fondateurs de la Rome antique mêlées à la geste impériale ont pour but d’établir la filiation historique entre les deux dynasties et, en même temps, concrétise le rattachement des Etats de Rome à l’Empire. En outre, le nouveau-né par son sang moitié Bonaparte moitié Habsbourg, était censé incarner l’alliance de la France et de l’Autriche et donc être un gage de paix. Aussi, sa venue au monde suscita-t-elle l’espoir pour toute une partie de la population et fut largement fêtée.

- La liesse générale inspira aussi la poésie et le théâtre. Cantates, odes, poèmes, chants héroïques, dithyrambes et pièces se rapportant à l’heureux événement fleurirent dans les jours suivants la naissance. Dans l’ensemble, il s’agit d’œuvres mièvres d’une grande médiocrité. On est cependant frappé par le grand nombre qui célèbrent l’espoir d’une orientation de la politique à la paix. Espoir déçu : quelques mois plus tard débutait la campagne de Russie.
A Sainte-Hélène, Napoléon avoua que, certes, il avait été heureux à la naissance du roi de Rome, mais qu’il ne s’était pas senti « assez d’aplomb ». Il est vrai que l’’héritier qui devait lui apporter la sécurité européenne et légitimer son rôle n’était qu’un leurre.

Pour en savoir plus :
- « Enfance impériale ». Le roi de Rome, fils de Napoléon. Exposition organisée au château de Fontainebleau du 26 février au 23 mai 2011.
- Catalogue : « Enfance impériale ». Le roi de Rome, fils de Napoléon, Fontainebleau, février-mai 2011, Dijon, Editions Fatons, 2011.

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