Les langues régionales de France : langues d’oc, langues de culture (10/20)

10ème émission de la série proposée par la linguiste Henriette Walter
Avec Hélène Renard
journaliste

Cette émission, intitulée « langue d’oc, langue de culture », évoque, avec insistance et pour le plaisir, la langue des troubadours du Moyen Age, connue sous plusieurs noms, parmi lesquels on a retenu l’expression langue d’oc, un nom qui a traversé les siècles et qui, curieusement, a d’abord désigné le pays où l’on parlait cette langue le Languedoc.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : sav577
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Dans les premiers temps du royaume de France, l'introduction du français dans les Provinces du Midi n'avait eu que peu d'effet perturbateur sur l'emploi des langues locales, qui ont longtemps conservé leur prestige, avant de connaître, depuis quelques décennies, un sort analogue à celui des autres langues régionales. Pourtant, les diverses variétés des langues d'oc bénéficient encore de l'aura que leur donne leur passé, riche d'une littérature prestigieuse et mondialement reconnue, appréciée et imitée.



- Un nom fluctuant

Mais comme les premiers troubadours étaient originaires du Limousin, c'est le terme lemozí (limousin) qu'ils employaient eux-mêmes pour l'opposer à la langue parlée dans le Nord, alors que, sans doute encore sensibles au nom de l'ancienne Provincia romana de l'Empire romain, qui recouvrait un domaine bien plus vaste, d’autres personnalités utilisaient le terme proensal. Ce terme – provençal, en français - a d'ailleurs longtemps servi à désigner l'ancienne langue d'oc dans son ensemble. Mais de nos jours certains préfèrent éviter la confusion qui pourrait surgir entre la forme spécifique prise par le latin en Provence même (le provençal) et la désignation de l'ensemble des variétés d'oc face aux variétés d'oïl (l'occitan).
On ne sait pas exactement quelles pouvaient être, à l’époque du haut Moyen Age, les divisions internes des langues issues du latin, mais la partition entre dialectes d’oïl (oïl était la façon de dire oui dans la moitié nord du pays) et dialectes d’oc (oc était la façon de dire oui dans la moitié sud du pays) était déjà nette. Le mot occitan est utilisé dès la fin du XIIIe siècle, et le mot provençal a servi de façon très large au moment de la 1ère croisade (fin du XIe siècle) pour distinguer les gens du Midi (Provinciales) de ceux du Nord (Francigenae) . Certains font remonter cette division à la préhistoire, d’autres à l’influence des invasions germaniques, qui avait été forte dans le Nord, mais pratiquement inexistante dans le Sud.
Dans les premiers temps du royaume de France, l'introduction du français dans les provinces du Midi n'avait eu que peu d'effet perturbateur sur l'emploi des langues locales, qui ont longtemps conservé leur prestige, avant de connaître, depuis quelques décennies, un sort analogue à celui des autres langues régionales.


Carte du domaine d’oc
On peut distinguer les parlers d’oc du Nord (limousin, auvergnat, provençal alpin), des parles d’oc du Sud (languedocien, provençal maritime) et du Sud-Ouest (gascon, béarnais, etc.)




- Diversité linguistique

Il reste essentiel, sur le plan linguistique, de rappeler que les langues d'oc ne sont pas uniformes et qu'il existe des différences sensibles entre le provençal, le languedocien, l’auvergnat, le limousin ou le gascon, sans oublier le béarnais, proche variété du gascon, le nissart, variante du provençal, alors que le catalan ne peut pas être classé parmi les variétés d’oc. On reviendra plus longuement sur les différentes variétés du domaine d'oc dans les émissions suivantes.


- La langue de la « fin' amor » dépasse les frontières

Pour l'heure, rappelons que cette langue d'oc née dans le Midi a été le véhicule d'une poésie lyrique originale et porteuse de valeurs morales universelles, ce qui lui a valu un rayonnement hors de son lieu de naissance. Elle exaltait avant toute chose la fin' amor - remarquez le féminin - c'est-à-dire l'amour conçu comme une élévation de l'âme de celui qui l'éprouve. Cette poésie était connue et appréciée même hors de la France puisqu'elle allait se répandre aussi bien vers la péninsule Ibérique, où le roi Alphonse II d'Aragon (1162-1196) composait ses poèmes en langue d'oc, que vers l'Italie, où Sordello, le poète de Mantoue, écrivait en « provenzale ». On pense que Dante lui-même hésitera quelque temps entre le provençal et l’italien pour écrire sa Divine Comédie.
Mais c'est surtout vers la France du Nord que cette influence de la langue d'oc se fera sentir : Aliénor d'Aquitaine, pendant quinze ans (1137-1152), fera connaître cette poésie des troubadours à la cour de France, où elle sera le véhicule du raffinement de la culture méridionale. Cette nouvelle vision du monde deviendra par la suite familière à la cour de Champagne où Marie de Champagne, protectrice des arts et des lettres, soutenait et encourageait Chrestien de Troyes, poète en langue d'oïl. Les troubadours (de langue d'oc) devenaient ainsi les inspirateurs des trouvères (de langue d'oïl). C'est dire tout ce que la langue française alors en formation doit également à cette langue de la littérature venue du Midi.
A la suite de son deuxième mariage, cette fois avec Henri II Plantagenêt en 1152, Aliénor introduira aussi la fin' amor, que l'on connaît dans le Nord sous le nom de « l'amour courtois », à la cour d'Angleterre, où l'on pense que le troubadour limousin Bernard de Ventadour avait suivi Aliénor.
Enfin, Richard Cœur de Lion (1157-1199), roi d’Angleterre, mais aussi comte de Poitiers et duc d’Aquitaine par sa mère Aliénor, écrivait aussi ses poèmes en langue d’oc.
Deux siècles plus tard (XVe siècle), l'Académie littéraire de Toulouse, ou Consistoire du Gai savoir, prendra l’initiative de composer un code de lois - les leys d'Amor - afin que se perpétue la tradition de la poésie des troubadours.




- Comment caractériser les parlers d'oc?

On peut caractériser de manière globale les parlers d'oc par rapport aux parlers d'oïl en ce qu'ils sont généralement plus proches du latin : on a vu que la romanisation y avait été à la fois plus précoce et plus profonde.
Ainsi, le latin FABER « ouvrier » (qui a pris en français le sens de « forgeron » dans ses emplois ultérieurs) se reconnaît plus facilement dans le nom de famille Fabre (que l’on trouve essentiellement dans le Midi et qui est particulièrement fréquent dans le Languedoc et le Rouergue) que dans Fèvre, Lefèvre, Lefebvre ou encore Lefébure (par erreur de lecture), qui sont des formes originaires du Nord.

Un autre exemple permet d'illustrer le clivage oc/oïl : à part le nord du limousin, de l'auvergnat et du provençal alpin, qui ont connu une évolution proche de celle des dialectes d’oïl, la succession latine ca est restée ca en langue d'oc, alors que la consonne /k/ avait évolué vers /∫/ (elle s'est palatalisée) dans les parlers d'oïl. Ainsi, la forme latine CAPRA, qui est finalement devenue chèvre en français, a pris la forme cabro en provençal. De même, CANTAT est devenu (il) chante en français, et canta dans la plus grande partie du domaine d'oc, tout comme CAUSA a finalement abouti à chose en français et causa en zone d'oc.
Cette langue, propre au Midi, et dont l'étoile littéraire commencera à décliner après le XIIIe siècle, est toutefois restée jusqu'au XVe siècle la langue du droit et de l'administration, même après le rattachement des terres du Comté du Languedoc à la couronne de France après la Croisade contre les Albigeois (1209-1229). Cependant, le français commençait déjà à s'introduire dans le Midi.
Et on a déjà vu que c'est deux siècles plus tard (XVe siècle) que l'Académie littéraire de Toulouse, ou Consistoire du Gai savoir, prendra l’initiative de composer un code de lois - les leys d'Amor - afin que se perpétue la tradition de la poésie des troubadours.


- La zone d'oc aujourd’hui

Les variétés du domaine d’oc, déjà riches d’une littérature raffinée qui avait largement traversé les frontières au Moyen Age, ont plus tard, avec les poètes du Félibrige, connu une renaissance exceptionnelle au XIXe siècle, et ont même obtenu une reconnaissance mondiale en 1904, grâce à l’attribution du prix Nobel de littérature à Frédéric Mistral, pour son grand ouvrage Mireio, écrit en provençal. Largement unitaire au début du Moyen Age, la langue d'oc s'est ensuite diversifiée en dialectes bien différenciés, que l'on peut classer en trois groupes principaux :

  • au nord : limousin, auvergnat, provençal alpin
  • au sud : languedocien, provençal maritime
  • à l'ouest : gascon, béarnais.



C'est le groupe septentrional qui fera l'objet de la prochaine émission.



Henriette Walter, linguiste renommée, est professeur émérite de linguistique à l’Université de Haute Bretagne (Rennes) et directrice du laboratoire de phonologie à l’école pratique des Hautes Études à la Sorbonne. Henriette Walter est reconnue comme l’une des grandes spécialistes internationales de la phonologie, parle couramment six langues et en « connaît » plusieurs dizaines d’autres. Elle a rédigé des ouvrages de linguistique très spécialisés aussi bien que des ouvrages de vulgarisation.




Bibliographie sélective d’Henriette Walter :


- L’aventure des langues en occident (Robert Laffont)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (Prix Louis Pauwels 1997)

- Le Français dans tous les sens (distingué du Grand Prix de l’Académie française en 1988)

- Honni soit qui mal y pense, l’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais,

- L’aventure des langues en Occident (prix spécial de la Société des gens de lettres et grand prix des lectrices de Elle, Robert Laffont, 1994)

- L’aventure des mots français venus d’ailleurs (prix Louis Pauwels 1997, Robert Laffont)

- Honni soit qui mal y pense (Robert Laffont, 2001)

- Arabesques (Robert Laffont, 2006)

A noter : son ouvrage fondamental Aventures et mésaventures des langues de France, sera réédité au printemps 2012 par les Editions Honoré Champion.

En savoir plus:


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- Canal Académie vous invite à consulter le site du Hall de la chanson (www.lehall.com), partenaire de cette série d’émissions sur les langues régionales de France.
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