Réponses de systèmes écologiques aux évènements extrêmes (3/5)

Quelles sont les réponses des systèmes écologiques face aux évènements extrêmes climatiques ? Comment s’organise la faune marine et terrestre ? Éléments de réponse dans cette troisième partie du colloque de l’Académie des sciences consacré aux écosystèmes et évènements climatiques extrêmes. Communications en anglais/français.

_ Ce colloque de l’Académie des sciences qui s’est déroulé les 4, 5 et 6 juillet 2007 « Ecosystèmes et Evénements Climatiques Extrêmes », s’intéresse à la manière dont les écosystèmes (et les socio-écosystèmes) réagissent à des perturbations rares mais extrêmes de l’environnement.

Le thème central consiste à identifier quelles connaissances acquises ou à acquérir sont nécessaires pour préparer les sociétés humaines aux événements climatiques extrêmes.
Les orateurs tirent partie du passé pour évaluer l’influence possible du changement climatique sur l’accroissement de la population mondiale prévu à l’horizon 2050.

Retrouvez sur Canal Académie les cinq angles abordés au cours de ce colloque :
- Événements climatiques extrêmes et société,
- Leçons du passé lointain,
- Réponse des systèmes écologiques aux événements extrêmes,
- Besoin de connaissance,
- Se préparer aux événements extrêmes

Dans cette troisième partie, retrouvez les interventions de Nathalie Breda et de Lucien Aubier

Nathalie Breda et Vincent Badeau, INRA UMR 1137 Ecologie et Ecophysiologie Forestières

Réponse des arbres forestiers aux évènements climatiques extrêmes / Forest tree responses to extreme climatic events

Nathalie Breda
© INRA

Un des facteurs majeurs affectant la croissance des arbres est la disponibilité en eau, même dans les milieux tempérés. Les accroissements annuels, marqués dans le bois par les cernes, peuvent être mesurés rétrospectivement pour reconstruire l’histoire de la vie des arbres. Cette approche (appelée dendrochronologie) permet de mettre en évidence des variations de basse fréquence (tendances liées
à l’âge de l’arbre ou aux changements environnementaux) et de signaux haute fréquence (variations inter-annuelles de croissance). Ces variations inter-annuelles sont toujours très marquées, avec des
alternances d’années de bonne et de mauvaise croissance. Certaines années, tous les arbres d’un peuplement, voire d’une région ou d’un pays, répondent de manière identique : ces années sont dites années caractéristiques pour la croissance. Elles servent à la fois de repère pour la datation des cernes, et traduisent très souvent la réponse des arbres à un évènement climatique extrême, thermique ou hydrique : gel intense, canicule, excès d’eau printanier, sécheresse … Les espèces
forestières présentent des réponses contrastées à ces aléas climatiques, en fonction de leur comportement écophysiologique face aux contraintes. Ces différences, illustrées à partir des
bases de données dendrochronologique, s’interprètent à l’aide des connaissances sur l’écophysiologie des espèces.

La largeur des cernes est un témoignage des conditions extérieures que supportait l’arbre pendant cette période. L’analyse précise des cernes du bois peut donc être un moyen de datation de phénomènes à l’échelle "historique".




L’analyse de la réponse des arbres aux aléas de type «sécheresse extrême» nécessite également une quantification et une caractérisation de la progression saisonnière des déficits hydriques (précocité,
durée, intensité). Ces critères, issus d’un calcul de bilan hydrique local, permettent d’établir une typologie des sécheresses, un classement relatif entre années et entre type de couverts forestiers. Le même calcul permet aussi d’établir des caractéristiques d’épisodes d’excès d’eau dans le sol au printemps, dont les impacts sont parfois tout aussi drastiques sur la croissance. Pour le forestier, une sécheresse est considérée comme extrême si elle induit des dysfonctionnements visibles et durables, incluant des changements anormaux de coloration du feuillage, des mortalités d’organes (rameaux, branches), un dépérissement voire des mortalités anormales.

Vincent Badeau

Nathalie Breda et Vincent Badeau illustrent de tels impacts, souvent différés de quelques années après l’aléa climatique, à partir d’études de dépérissements forestiers avérés depuis 2003 ou attribués à des sécheresses plus anciennes. Ils montrent que l’effet cumulatif des sécheresses est
particulièrement défavorable pour les espèces qui gardent longtemps la mémoire de tels accidents.

Ces résultats de recherches aboutissent à des recommandations de gestion forestière et de choix d’essences en fonction des potentialités hydriques actuelles et futures des stations.


Water availability is one of the most constraining factors of tree growth, even under temperate conditions. Annual increments, as recorded in tree-rings, can be measured retrospectively to reconstruct tree live. This approach, so called dendrochronology, allows the detection of low frequency signals (trends dues to tree ageing or to global change) and high frequency signals (inter-annual growth change). Such year-to-year variability is always clearly recorded, with either large or narrow tree-rings. Some years, most of the trees from a stand, a region or some time a country, react in a similar way. This is a pointer year useful for both tree-ring dating and analysing trees responses to extreme climatic events like frost, heat wave, spring water logging, and drought … Forest tree species exhibited contrasted responses to climatic hazards, depending on their sensitivity to water shortage or temperature hardening. These differences, illustrated from our dendrochronological data base, could be interpreted as a result of ecophysiological responses.

Tree response analysis to climatic hazards like extreme drought needs first a quantification and description of seasonal progression of water shortage (starting time, duration, intensity …). These criteria, computed from a retrospective calculation of daily and local forest water balance, allow building drought typology and between years or canopy types (broad leaves vs. sempervirens) comparisons. Water balance calculation also helps identifying water logging periods during spring, which impact on tree growth should be as severe as drought. For the forester, a drought is an extreme «Ecosystems and Extreme Climatic Events» event if visible and durable symptoms are induced, including leaf discolouration, perennial organs mortality (twig, branches), tree dieback and mortality. This kind of symptoms, lagging one or several years after the climatic event, will be illustrated from forest decline occurred since the 2003 drought or attributed to previous drought events in France. The cumulated impact of recurrent droughts on tree growth response will be illustrated and the physiological interpretation of the long lasting memory of tree will be discussed. Finally, some conclusions of such a coupled approach linking dendrochronology and ecophysiology will be translated to management advices to foresters and arguments helping to select adapted species according to actual and future site water balance.




Lucien Laubier, Université de la Méditerranée. Centre d'océanologie de Marseille

Événements extrêmes et environnement marin / Extreme Events and the Marine Environment

Lucien Laubier

L’environnement marin est défini par certaines caractéristiques climatiques, comme l’environnement continental. Il s’agit de la température (moyennes, valeurs extrêmes, gradients temporels à diverses échelles d’espace), de la formation de glaces marines, de la turbulence, des variations des gradients de densité et de leur permanence, du pH, des équilibres carbonates-bicarbonates et de l’éclairement.
L’hydroclimat est loin d’être homogène le long de la verticale : plus la profondeur est réduite et le volume d’eau faible, moins l’effet tampon résultant de la chaleur spécifique élevée de l’eau est marqué. Les impacts dans le domaine marin des tempêtes, des cyclones tropicaux et des crues interviennent également. Du point de vue climatique, l’océan profond, préservé des accidents climatiques majeurs, semble être moins défavorable à la vie que les cuvettes creusées dans les roches supralittorales durant un cycle de marée ! L’échelle de temps significative va de quelques heures à quelques mois et l’échelle spatiale est d’ordre régional ou local.

D’autres événements extrêmes agissent sur les écosystèmes marins, tels que les phénomènes éruptifs sous-marins, au-dessus des volcans et sur les dorsales océaniques actives ou les tremblements de terre sous-marins à l’origine des tsunamis (cf. éruption de la Fournaise début 2007 et le tsunami du golfe du Bengale de décembre 2004), sans oublier les glissements de sédiments sur les marges à l’origine de courants de turbidité et les tempêtes benthiques en bas de marge. L’échelle de temps significative est ici de quelques heures à quelques jours, voire quelques semaines, et l’échelle spatiale est le plus souvent de portée locale. Dans les deux cas, on dispose rarement d’une couverture suffisante d’observations, contrairement à ce qui se produit à terre où l’on peut reconstituer une couverture synoptique des dommages subis par les écosystèmes. Lorsqu’un évènement intéresse milieu continental et milieu marin, seul le premier retient l’attention des autorités et des publics touchés, ce qui peut sembler justifié d’un point de vue sociétal, mais ne l’est évidemment pas au plan écologique.

Lors de son intervention, Lucien Laubier réunit quelques exemples destinés à illustrer différents types d’évènements :
- Les apports massifs d’eau douce de surface susceptible de faire obstacle aux échanges d’oxygène entre l’eau de mer sous-jacente et l’atmosphère (rejets du barrage d’Arzal sur la Vilaine en
juillet 1982).
- Les anomalies thermiques estivales avec plongée de la thermocline saisonnière dans le golfe de Gênes, au cours de l’été 1999, provoquant des mortalités très importantes d’espèces animales sessiles au niveau des fonds coralligènes fréquentés par les plongeurs amateurs.
- Les anomalies thermiques des eaux de surface associés au phénomène El Niño de 1997-1998 (l’anomalie thermique a atteint 4°C), avec de nombreux cas de blanchissement de récifs coralliens
jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur.

Glissement de terrain au Guatemala après le passage d’El Niño
© Brennan Linsley pour AP



- Les glissements de terrain consécutifs à des tremblements de terre (cas du tremblement de terre de Terre Neuve entraînant la rupture des câbles télégraphiques) ou spontanés (glissement de terrain de l’aéroport de Nice) déplacent des millions de mètres cubes sur des centaines de mètres de profondeur.
- Les grands tsunamis tels que celui de décembre 2004 provoquent des mortalités importantes des platiers et des récifs coralliens par élévation du niveau du sol marin ; ils ont aussi des effets mal compris sur la faune ichthyologique de profondeur intermédiaire.
- Les déversements en mer de quantités importantes de lave fluide, entraînant également des mortalités significatives de poissons de profondeurs bathyales.
- Les coulées de lave se produisant en profondeur, telle que celle observée en temps réel en 1991 sur l’axe de la dorsale du Pacifique oriental. Les communautés associées aux sources hydrothermales ont été détruites sur une surface significative.
- Les effets des tempêtes sur les récifs coralliens tropicaux sont bien connus, et on montré que le développement d’oeufs pélagiques de poissons peut être contrarié par une forte turbulence près de
la surface.

Les pollutions chimiques et physiques chroniques d’origine anthropique ou les évolutions à long terme de l’hydroclimat n’entrent pas dans la catégorie des évènements extrêmes, compte tenu de leur échelle temporelle. En revanche, les pollutions accidentelles comme les marées noires ont permis de véritables expérimentations sur les oscillations qui précèdent le retour à l’équilibre après un certain nombre d’années.


Écoutez également les quatre autres parties de ce colloque :
- Événements climatiques extrêmes et société (1/5)
- Événements climatiques extrêmes et évolution des espèces (2/5)
- Événements climatiques extrêmes : bilan actuel des connaissances (4/5)
- Événements climatiques extrêmes : comment s’y préparer ? (5/5)

En savoir plus sur :
- L'Académie des sciences

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