Jean Rostand, de l’Académie française : "Les insectes ? J’aurais tout abandonné pour courir la libellule ou dénicher le grillon"

Lecture d’extraits de sa brochure illustrée publiée en 1936 : Insectes
Avec Hélène Renard
journaliste

Lecture d’extraits de sa brochure illustrée publiée en 1936 : Insectes
Jean Rostand, élu à l’Académie française en 1959, avait pour passion les insectes. Il publia une brochure illustrée intitulée Insectes et dès l’introduction, il prévient : "J’aurais tout abandonné pour courir la libellule ou pour dénicher le grillon"... À votre tour, abandonnez tout pour écouter la lecture d’extraits de cette brochure par le comédien Fernand Guiot.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : voi603
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Jean Rostand, de l'Académie française, était le fils du dramaturge Edmond Rostand, lui aussi de l'Académie française, à qui l'on doit le fameux Cyrano de Bergerac.
Le fils, Jean, donc, a préféré, lui, s'orienter vers les sciences de la nature, et tout particulièrement vers les insectes, les crapauds et les grenouilles. Il demeure l'un des plus notables biologistes et entomologistes de France.
Né à Paris le 30 octobre 1894, et décédé en 1977, il a été élu à l'Académie française, en 1959, à 65 ans donc, au fauteuil précédemment occupé par le président Edouard Herriot, fauteuil n° 8, dont le titulaire aujourd'hui est l'écrivain Michel Déon.

Jean Rostand, de l’Académie française.
© Louis Monier




Jean Rostand est l'auteur d'une œuvre scientifique abondante, exceptionnelle même, de grande notoriété, et parmi ses nombreux titres, nous avons choisi non pas un livre mais une brochure, éditée en 1936 par Flammarion dans la collection « Voir et savoir »... Une brochure au papier tout jauni, offrant un texte inédit de Jean Rostand et 152 photographies, ce qui pour l'époque devait être assez rare...


Pourquoi avoir choisi la brochure intitulée Insectes ? Parce que, vous allez l'entendre grâce au comédien Fernand Guiot qui va vous en donner lecture, Jean Rostand y raconte sa passion pour les insectes mais aussi sa fascination pour ces êtres vivants, généralement de petite taille mais dont l'utilité pour la science est immense.

Pour illustrer cet article, Canal académie a choisi de vous présenter quelques réalisations du sculpteur François Riou, qui en récupérant des matières ou des objets que nous jetons tous les jours, recrée des animaux fantastiques.

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Extraits de lecture de la brochure Insectes de Jean Rostand


« Nul ne peut ignorer l'Insecte. Il se rappelle à qui serait tenté de la négliger. Il s'insinue partout. Il tient le jardin, la rue, la maison. Contre lui, on doit se défendre, car il en veut à nos aliments, à nos vêtements, à nos fleurs, à notre peau. Si l'Insecte ne représente guère au profane que menace ou incommodité, il exerce sur le naturaliste, et même sur le simple curieux des choses naturelles, une séduction particulière. On compte cent amateurs d'Insectes pour un de crustacés ou de coquilles.
Personnellement, c'est par l'Insecte que la nature, tout d'abord, me captiva. Il est mêlé à toute mon enfance. Quelles impressions ineffaçables je devais garder de mes premiers contacts avec lui! Je me souviens encore, après trente années, de l'émerveillement que j'eus à découvrir, sur un arbuste des bords de la Nive, ce saphir céruléen qu'est le mâle de l'Hoplie! Je revois le coin de pelouse grillée où je nouai connaissance avec le Cryptocéphale, et le petit tertre sablonneux d'où j'exhumai un Géotrupe au ventre grouillant de vermine rosée!

La classe des insectes est la plus riche de tout le règne animal. On y a déjà identifié plus de cinq cent mille espèces, et nul doute qu'il n'en reste une foule à décrire, voire à découvrir. Le nom d'Insecte, contraction d'Intersecte, leur vient de ce qu'ils ont le corps divisé en segments, en anneaux. Dépourvus de squelette interne, ils sont des invertébrés, et qui se rangent parmi les Arthropodes terrestres : araignées, cloportes, mille-pattes. Mais on les en distingue rien qu'au nombre de pattes, qui sont huit chez les araignées, et davantage chez les autres.
Encore que la classe soit essentiellement terrestre, beaucoup d'Insectes vivent dans les eaux douces, et même dans certaines eaux salées. Sauf les Halobates des mers chaudes, pas un n’habite l'océan, alors qu'ils en supporteraient parfaitement le degré de salinité.


Exemple d’une "espèce en voie d’apparition" de François Riou
© Aurore Maréchal



L'Insecte est extrêmement ancien. Des millions de générations séparent les espèces contemporaines de celles qui ont laissé leurs traces dans les terrains du Carbonifère. On tend à les faire dériver d'autres Arthropodes aquatiques ; mais certains naturalistes préfèrent les rattacher aux Annélides. Sur les prémices de la classe, nous ignorons tout. À l'époque secondaire, vivaient déjà des sortes de Punaises, des Blattes, de grands Phasmes, des Libellules géantes. Plus tard apparurent des Scarabées et des Papillons. Beaucoup d'Insectes n'ont pour ainsi dire pas changé depuis l'époque tertiaire.
Pour prendre une idée de leur diversité, il suffit d'évoquer quelques-uns de ceux que chacun connaît : Hanneton, Libellule, Papillon, Punaise, Mouche, Pou... Il en est d'aptères et d'ailés, de durs et de mous, de ternes et de colorés, de trapus et de minces, de lisses et de rugueux. Leur taille varie entre des limites étendues.


L’UTILITÉ DE L'INSECTE


L'Insecte peut nous rendre de gros services quand il s'agit de réparer le mal qu'il a lui-même causé. Mais c'est là un mérite négatif. N'en a-t-il point de positifs ? Il en bien quelques-uns, mais d'ordre secondaire.
Quelques Insectes contiennent ou produisent des substances exploitables par l'homme. La cochenille du nopal, d'origine mexicaine, fournit une belle matière rouge, d'où l'on tire le carmin, et qui, malgré la concurrence qu'y font actuellement les couleurs d'aniline, sert encore à la teinture de certaines étoffes.
La valeur économique de la cire et du miel produits par l'Abeille n'est point négligeable. En Suisse, les apiculteurs récoltent annuellement deux millions de kilos de miel, d'une valeur marchande de huit millions de francs.
Le Ver à soie, élevé en Chine depuis de milliers d'années, perd chaque jour de son importance. En 1853, la France a produit jusqu’à vingt-six millions de kilogrammes de cocons frais.

La médecine est redevable à l'Insecte de quelques drogues. On a mis à profit les propriétés vésicantes de la cantharidine, substance âcre et toxique qui se trouve dans le corps d'un Coléoptère. La mode est aujourd'hui aux venins, et voici qu'à la suite des homéopathes on use du venin d'Abeilles contre les rhumatismes et autres affections rhumatoïdes, lumbago et sciatique. Ce venin, comme celui des serpents, exerce une action apaisante sur les nerfs.

Insecte réalisé avec une capsule de bouteille Perrier.
© Aurore Maréchal


Le seul titre sérieux qu'ait l'Insecte à notre gratitude, c'est le rôle qu'il joue en tant que matériel de recherches dans le développement des sciences naturelles. Il doit lui être pour cela beaucoup pardonné, et l'on conviendra que ses services d'informateur réparent quelques-uns de ses méfaits, s'il est vrai que toutes les disciplines se compénètrent et que la médecine elle-même est tributaire de la biologie. Des chapitres entiers de cette science sont issus de l'entomologie. C'est sur l'Insecte que Wilson a fait les premières observations décisives sur les chromosomes sexuels, que Marchal a découvert la polyembryonie, et Wagner la paedogénèse ; les grandes généralisations de la génétique n'eussent pas été possibles sans la petite Mouche du vinaigre. Enfin, n'oublions pas que l'Insecte a inspiré quelques grands livres évocateurs, depuis Michelet jusqu'à Maeterlinck. »


Le phonéoptère. Exemple d’une "espèce en voie d’apparition" réalisée avec des claviers de téléphone par françois Riou.
© Aurore Maréchal




Signalons aussi que l'on peut encore trouver chez quelques libraires le Bestiaire d'amour écrit par Jean Rostand, de l'Académie française, et illustré par Pierre-Yves Trémois, de l'Académie des beaux-arts. En effet, en mai 1957, Pierre Yves Trémois demandait à Jean Rostand s'il accepterait de traiter le sujet des relations amoureuses chez les animaux en un « bestiaire d'amour ». Le célèbre entomologiste accepta. Et Pierre Yves Trémois, âgé à l'époque de 36 ans, se mit à graver, comme il l'avait fait pour d'autres éditions de luxe à tirage limité, et avec le talent exceptionnel qui établit sa réputation internationale, 22 planches pour l'édition originale, tirée en 1958 à 175 exemplaires.

Jean Rostand par Pierre-Yves Trémois



Et cette même année, l'éditeur Robert Laffont publia, avec enthousiasme, une édition plus grand public, offrant la reproduction de quelques planches de l'édition originale - notamment un portrait de Jean Rostand inouï, avec une grenouille sur la tête ! - et les 200 dessins de Pierre-Yves Trémois spécialement composés pour cette édition.
On ne saurait que vous conseiller de tenter, par tous moyens, de vous procurer ce Bestiaire d'amour...




- François Riou, graveur formé à l’École Boulle, s'est lancé dans un travail de création tout à fait original. Face au déclin de la biodiversité, il a pris l'initiative de créer de nouvelles espèces en métamorphosant quelques-unes des dépouilles semées par notre société de consommation. L'artiste pratique un « naturalisme de grande surface » selon ses propres termes. Carton d'emballage, capsule de boisson gazeuse, gobelet en plastique, sont autant d'éléments avec lesquels il élargit son bestiaire fantastique. Plusieurs grandes expositions (à Rouen, à Bayonne dernièrement) ont permis à un large public d'apprécier ses « Espèces en voie d'apparition ». À n'en point douter, Jean Rostand les aurait collectionnées !



- En savoir plus:

- Visitez le site de François Riou, auteur des œuvres photographiées dans cet article.

- Consultez les autres émissions sur Jean Rostand.

- A découvrir : Le prix Jean Rostand : une passerelle entre scientifiques et grand public présenté par l'académicien Jean-Claude Pecker.

- Canal Académie vous proposera prochainement quelques « Petites phrases et citations » de Jean Rostand, extraites de son essai Ce que je crois paru chez Grasset en 1953 (diffusion prévue semaine du 15 août 2011)

- Consultez la fiche de Jean Rostand sur le site de l'Académie française

- Pierre-Yves Trémois, membre de l'Académie des beaux-arts

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