Échange épistolaire entre George Sand et Alfred de Musset

Mai 1834 : Alfred de Musset reçoit deux lettres de Venise
Alfred de MUSSET
Avec Alfred de MUSSET de l’Académie française,

Écoutez la lecture de deux lettres qu’adressa George Sand à Alfred de Musset au cours de l’année 1834. Les deux légendes du romantisme français viennent de se séparer après une passion aussi brève que tumultueuse, dont ne subsistent, à travers l’écriture, qu’une estime, une affection et une mélancolie profondes. Alfred de Musset fut élu à l’Académie française en 1852.

Dans cette série « Lettres d’amour » voici celles que George Sand adressaient à Alfred de Musset. Aurore Dupin, dit George Sand, bouscula les conventions sociales de son époque par ses passions successives dont la plus célèbre demeure celle qu’elle éprouva pour Alfred de Musset. Et si George Sand ne fut jamais membre d’une Académie, Musset en revanche fut élu à l’Académie française en 1852, cinq avant sa mort, sa carrière était donc derrière lui, et son inspiration éteinte.

Alfred de Musset

Il remporta son premier grand succès à 23 ans, en publiant Rolla, un drame d’amour qui raconte l’histoire d’un jeune-homme, cœur noble et naïf, qui, devenu le plus grand débauché de Paris, sera sauvé, à la dernière minute, par la pureté et l’amour de Marion.

La même année que Rolla en 1833, Musset publiera aussi les caprices de Marianne. Et surtout cette année-là, il rencontre George Sand et tous deux s’enflamment de passion.

Il a un peu plus de vingt-deux ans, elle en a presque sept de plus.
Après un séjour idyllique à Fontainebleau, s'attachant l'un à l'autre, les deux amants partent pour l’Italie; mais à Venise en février 1834, Musset souffre d'une grave fièvre typhoïde, George le soigne comme une mère mais le trompe avec le médecin Pagello…

Musset est au désespoir...
À peine guéri, le jeune poète et dramaturge rentre à Paris. Les liens entre les deux amants se sont distendus après plusieurs crises et trahisons. Mais Musset ne se résout pas à perdre Sand et persiste à lui adresser des lettres amoureuses, auxquelles elle répond avec une tendresse certaine de mère et sœur, vous allez en juger :

Lettre que George Sand écrivit à Alfred de Musset les 15 et 17 avril 1834,
à Venise
« J'étais au désespoir. Enfin j'ai reçu ta lettre de Genève. Oh ! Que je t'en remercie mon enfant ! Qu'elle est bonne et qu'elle m'a fait du bien.
Est-ce bien vrai que tu n'es pas malade, que tu es fort, que tu ne souffres pas ?
Je crains toujours que par affection, tu ne m'exagères cette bonne santé. Oh ! Que Dieu te la donne et te la conserve ! Mon cher petit. Cela est aussi nécessaire à ma vie désormais que ton amitié. Sans l'une ou sans l'autre, je ne puis pas espérer un seul beau jour pour moi.

Ne crois pas, ne crois pas, Alfred, que je puisse être heureuse avec la pensée d'avoir perdu ton cœur. Que j'aie été ta maîtresse ou ta mère, peu importe. Que je t'aie inspiré de l'amour ou de l'amitié ; que j'ai été heureuse ou malheureuse avec toi, tout cela ne change rien à l'état de mon âme à présent. Je sais que je t'aime et c'est tout...

Hélas ! Non. Ce n'était pas notre faute. Nous suivions notre destinée, et nos caractères plus âpres, plus violents que ceux des autres, nous empêchaient d'accepter la vie des amants ordinaires.

Mais nous sommes nés pour nous connaître et pour nous aimer, sois-en sûr. Sans ta jeunesse et la faiblesse que tes larmes m'ont causée, un matin, nous serions restés frère et sœur.
Nous savions que cela nous convenait. Nous nous étions prédit les maux qui nous sont arrivés.


Eh bien ! Qu’importe, après tout ? Nous avons passé par un rude sentier, mais nous sommes arrivés à la hauteur où nous devions nous reposer ensemble.

Nous avons été amants, nous nous connaissons jusqu'au fond de l'âme. Tant mieux. Quelle découverte avons-nous faite mutuellement qui puisse nous dégoûter l'un de l'autre ?

Oh ! Malheur à nous, si nous nous étions séparés dans un jour de colère, sans nous comprendre, sans nous expliquer !
C'est alors qu'une pensée odieuse eût empoisonné notre vie entière ; c'est alors que nous n'aurions jamais cru à rien. Mais aurions-nous pu nous séparer ainsi ?
Ne l'avons-nous pas tenté en vain plusieurs fois ? Nos cœurs enflammés d'orgueil et de ressentiment ne se brisaient-ils pas de douleur et de regret, chaque fois que nous nous trouvions seuls ?

Non, cela ne pouvait pas être.
Nous devions, en renonçant à des relations devenues impossibles, rester liés pour l'éternité.

Tu as raison, notre embrasement était un inceste, mais nous ne le savions pas. (...)

Tu m'as reproché, dans un jour de fièvre et de délire, de n'avoir jamais su te donner les plaisirs de l'amour.

J'en ai pleuré alors, et maintenant je suis bien aise qu'il y ait quelque chose de vrai dans ce reproche.

Alfred de Musset, portrait par Charles Landelle

Je suis bien aise que ces plaisirs aient été plus austères, plus voilés que ceux que tu retrouveras ailleurs. Au moins tu ne te souviendras pas de moi dans les bras des autres femmes.
Mais quand tu seras seul, quand tu auras besoin de prier et de pleurer, tu penseras à ton George, à ton vrai camarade, à ton infirmière, à ton ami, à quelque chose de mieux que tout cela. Car le sentiment qui nous unit s'est formé de tant de choses qu'il ne peut comparer à aucun autre. Le monde n'y comprendra jamais rien. Tant mieux.
Nous nous aimerons, et nous nous moquerons de lui. »



La lecture de cette lettre est assurée par Corinne Maisant, comédienne.


Le 12 mai 1834, date de la lettre que vous allez entendre, George Sand est à Venise avec son nouvel amant et éditeur. Quinze jours plus tôt Musset lui a posé cette question :
« Les trois lettres que j’ai reçues, est-ce le dernier serrement de main de la maîtresse qui me quitte ou le premier de l’amie qui me reste ? »

Portrait de George Sand par Musset

George Sand lui répond.

Extraits :

« Que mon souvenir n’empoisonne aucune des jouissances de ta vie ; mais ne laisse pas ces jouissances détruire et mépriser mon souvenir. Sois heureux, sois aimé – comment ne le serais-tu pas ? – mais garde-moi dans un petit coin secret de ton cœur et descends-y dans tes jours de tristesse pour y trouver une consolation ou un encouragement. »

« Mais ton cœur, mais ton bon cœur, ne le tue pas, je t’en prie. Qu’il se mette tout entier ou en partie dans toutes les amours de ta vie. Mais qu’il y joue toujours son rôle noble, afin qu’un jour tu puisses regarder en arrière et dire comme moi : "J’ai souffert souvent, je me suis trompée quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui." »

Écoutez la suite dans cette émission. La lecture est assurée Virginia Crespeau.

En savoir plus :

Tombe d’Alfred de Musset au cimetière du Père-Lachaise à Paris

Alfred de Musset (1810-1857), fut membre de l'Académie française, élu le 12 février 1852 (il siègera durant 5 ans). À cette date sa carrière d'écrivain était largement derrière lui. Il demeure l'un des auteurs romantiques les plus joués dans les théâtres français.

Retrouvez Alfred de Musset sur le site de l'Académie

Sur Musset, écoutez aussi Alfred de Musset, le romantique de l’Académie française, vu par Gonzague Saint-Bris

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